Céline et Julien en transition
Dans les dernières semaines, j’ai vécu un véritable choc, une révélation sur l’avenir de notre monde. Ce choc a eu lieu quelques semaines avant que le Pacte pour la transition soit largement diffusé. Il a eu lieu le lendemain de la publication du rapport du GIEC (sans pour autant en être une conséquence directe). Il a changé ma vie à jamais. Je vous raconterai plus en détails ce choc dans l’article suivant.
Alors oui, j’ai signé le Pacte et je m’engage à réduire mon impact sur la planète. Mais je veux surtout agir pour permettre à mes enfants (et aux générations futures) de vivre heureux dans/malgré le monde de demain. Je vous livre donc mes modestes petit pas réalisés jusqu’à maintenant, ma prise de conscience de l’urgence d’agir et mes projets pour l’avenir. Mon but est de témoigner de ce qui raisonne en moi depuis ces quelques semaines, mais je trouve plus clair d’expliquer où on était rendus auparavant.
Commençons par notre vie avant le CHOC….
Notre famille a pris conscience de l’importance d’adopter un mode de vie plus éco-responsable il y a environ 4 ans. On avait déjà quelques habitudes assez « basiquement » éco-responsables (recycler, composter, prendre les transports en communs, manger peu de viande, éviter les grandes surfaces, manger bio) mais on a décidé de commencer une démarche pour tendre vers le zéro déchet afin de réduire notre empreinte sur la planète. Je dois avouer que c’est mon chéri qui est le moteur principal de toute cette démarche et je lui suis profondément reconnaissante de me ramener à la réalité quand les doutes ou le découragement (et puis à quoi bon ? oui mais est-ce mal d’acheter cette pizza toute emballée? ou ce petit pull chez H & M ?) s’emparent de moi.
Notre premier geste dans cette direction a été de revendre notre cafetière Nespresso que l’on a remplacée par une simple cafetière à piston en verre et en métal qui répondait à notre désir de consommer le moins de plastique possible. Une fois ce premier geste posé, on a continué notre chemin étape par étape. On a commencé à acheter davantage de vrac en commençant par les produits « secs » (farine, riz, épices, noix, fruits sec) (au Vrac du marché Jean Talon) puis on a découvert Nousrire (groupe d’achat d’aliments biologiques et écologiques en vrac) qui nous comble de joie tous les 2 mois !!! On a commencé à refuser systématiquement les sacs plastiques.
On se donnait un petit défi, et à chaque fois qu’on le réalisait, on passait à une étape supplémentaire. On a continué petit à petit surmontant nos peurs de l’inconnu. Je me rappelle la première fois que je suis allée à la fromagerie (Hamel pour ne pas les citer) avec mes contenants et que j’ai demandé à ne pas avoir d’emballage. Ça me paraissait si compliqué. Vont-t-ils accepter ? Dois-je leur donner ma boite? Si oui, à quel moment ? Où dois-je la déposer? Où est-ce qu’on colle l’étiquette du prix? Est-ce que le fromage va rentrer dans ma boite? Des fois, on s’en fait pour pas grand-chose. Mais sur le coup, ces petites inconnues me retenaient un peu de sauter le pas. Entre le moment où on a eu l’idée et le moment où je suis passée concrètement à l’action, environ 2-3 semaines étaient passées… Un jour, je me suis décidé à sauter le pas, mes contenants dans le sac, je prends mon plus beau sourire pour demander un truc du genre « J’aimerais réduire mes déchets et ne pas avoir d’emballage, est-ce possible de mettre les fromages dans mes contenants? » Je suis tombée sur un vendeur très compréhensif qui m’a bien aidé. Il a pesé le fromage directement sur la balance, puis m’a tendu l’étiquette que j’ai collée sur le couvercle et le fromage que j’ai mis moi-même dans mon contenant. Pour le fromage râpé, on pose la boite sur un plateau et il transfère le contenu dedans. Quel bonheur ! Plus de petit sac plastique, de petit papier et de petit truc rouge qui ferme les sacs et qui s’empilent dans mes tiroirs pour CHAQUE fromage. Je me sentais plus légère !
Note : maintenant que nous sommes en Estrie, on va acheter nos fromages bio, délicieux, en vrac à la Fromagerie La Station de Compton.
On a continué ainsi: emmener nos sacs à pain à la boulangerie, remplir notre bouteille de Kombucha, mettre un filtre sur notre robinet pour ne plus acheter de bidon d’eau en plastique (le gout de l’eau du robinet était vraiment infect sans ça), utiliser des mouchoirs lavables, etc.
Un moment important pour moi a été l’abandon de l’essuie-tout auquel j’étais si attachée. Je ne sais pas pourquoi j’ai lutté aussi longtemps avant de capituler mais je me rappelle très bien ce qui m’a convaincu : lorsque mon chéri m’a raconté que le fils de Béa Johnson avait dit en gros » je ne sais pas si je ferai du zéro déchet quand je serai plus grand mais c’est sûr que JAMAIS je n’achèterai d’essuie-tout parce que c’est vraiment jeter de l’argent à la poubelle. » La véracité de cette réalité m’a alors sautée aux yeux. Pourquoi acheter quelque chose qu’on va jeter tout de suite après ? Les enfants sont souvent plein de bon sens ! J’ai acheté des essuies-tous lavables (merci Louloumini et Minilou) et j’ai changé mes habitudes (vive les torchons !!). On s’est mis ensuite à acheter tous nos produits corporels en vrac également.
C’est encore mon chum qui nous a poussé à faire notre adoucissant nous-même (super simple et efficace !). On a utilisé les emballages réutilisables à base de cire d’abeille sur la recommandation d’amis qui d’ailleurs en offraient autour d’eux pour Noël, une façon de sensibiliser les proches au zéro déchet. On évacue progressivement toutes nos boites en plastique et on réutilise les contenants en verre que l’on achète. On achète autant que possible des cadeaux et des vêtements d’occasion pour Noël et les anniversaires. On va bientôt faire notre lessive (j’attends le petit kick de motivation de mon chéri, qui est le moteur de toutes ces fabrications artisanales). Et je m’apprête à suivre un atelier sur la confection d’emballage cadeau en tissu réutilisable.
Bref, voici un virage rondement mené.
Quand notre contrat de location automobile est arrivé à son terme, on s’est débarrassé avec bonheur de notre « pétraulozaure » (c’est ainsi que les électromobilistes appellent les voitures à essence). On a acheté une Leaf d’occasion. Pour les gens qui pensent que les voitures électriques sont plus polluantes que les voitures à essence, je vous conseille de bien vous documenter (en commençant par les lectures suivantes: article de l’AVEQ, rapport du CIRAIG).
Enfin, notre geste écologique le plus fort à date est notre décision de n’avoir qu’une seule voiture malgré le fait de vivre à 20 minutes d’une grande ville, sans transport en commun (oui on a aussi déménagé à la campagne pour avoir un mode de vie plus simple et pour de multiples bonnes raisons). Étant entrepreneurs tous les deux, on a la chance de pouvoir adapter nos horaires et je travaille la plupart du temps de la maison. C’est donc largement faisable à condition de faire quelques compromis.
Il serait évidemment plus simple pour la logistique familiale d’avoir une 2ème voiture. Mais on s’est dit qu’on allait transformer ce défi en opportunité de trouver une nouvelle façon de se déplacer. On caresse le projet de mettre en place un système de covoiturage local (déjà au sein du village où on habite). Nous allons tous à Sherbrooke régulièrement, probablement aux mêmes horaires, chacun dans notre voiture. Peut-être que, parfois, on pourrait se coordonner…
Voilà là où notre petite famille en était de notre transition vers une vie plus écoresponsable sur le plan pratico-pratique (je vous passe les impacts sur notre vie professionnelle car cela fait/fera l’objet d’autres articles) en octobre dernier, quand j’ai eu mon choc.
Le choc qui m’a fait réaliser l’ampleur des défis qui nous attendent et l’horreur des conséquences possibles pour nos enfants.
Et voilà que, face à ce choc, tous ces gestes, que je savais incomplets, imparfaits, me paraissent maintenant si insuffisants !!!
Alors on va continuer à se donner de nouveaux défis, à aller plus loin pour réduire notre impact mais je sais qu’il y a d’autres actions à mettre en place en parallèle.
Alerte spoiler en attendant le second article : pour faire face aux défis à venir, je pense qu’on doit ABSOLUMENT apprendre à vivre plus simplement, à se passer de pétrole et SURTOUT à s’entraider.
Et si l’école du 21ème siècle était une école apprenante ?
Et si l’école du 21ème siècle était une école apprenante ?
Des écoles où le savoir se crée en plus de se transmettre…
Des écoles où tout le monde apprend : les enfants bien sûr mais également les enseignants, les chercheurs et les parents…
Des écoles encourageant la collaboration de manière concrète : tout le monde y travaillerait ensemble pour expérimenter de nouvelles façons d’apprendre et d’enseigner, de co-créer du savoir….
Des écoles innovantes formant les futurs citoyens de la société apprenante de demain (1): des enfants éveillés, curieux, tolérants, ouverts sur le monde, ayant pu aiguiser leur esprit critique, ayant pris connaissance des défis à venir, ayant développé une conscience écologique, ayant eu la possibilité de créer, d’expérimenter et d’entreprendre et dont la confiance en soi aurait été renforcée.
Voici ce qui est proposé dans le concept des lab schools, que je traduis au Québec par « écoles apprenantes » (2). Ce qui est paradoxal, c’est que ce type d’école « moderne » qui me semble si adapté à la société d’aujourd’hui et si nécessaire pour aller vers la société demain, a été créé il y a plus d’un siècle.
Qu’est-ce qu’une lab school ou école apprenante?
Les lab schools sont des écoles primaires (le plus souvent) qui ont trois vocations principales :
- Éduquer, en proposant des pédagogies innovantes basées sur les dernières recherches en sciences cognitives, neurosciences, sciences de l’éducation, psychologie, etc.
- Ces écoles servent également de lieu d’expérimentation pour les chercheurs et les enseignants. Des études scientifiques y sont régulièrement menées avec l’accord des enfants et de leurs parents. On y étudie l’impact de certaines approches pédagogiques afin de déterminer les conditions optimales pour leur mise en oeuvre efficace. Ce type de recherche intégrée à la pratique enseignante permet d’éviter de prescrire une solution « miracle » qui fonctionnerait pour tous. Elle vise bien au contraire à proposer un éventail de possibilités que les enseignants pourront adapter en fonction de leur réalité.
- Il s’agit enfin de lieux de formation pour les futurs enseignants et pour les enseignants qui ont déjà des classes et qui veulent faire de la formation continue. Les formations se font lors de stages d’immersion, d’observation ou d’ateliers thématiques.
Dans la majorité des cas, ces écoles sont affiliées à une université. Mais depuis quelques années, on voit apparaitre des écoles indépendantes.
À NE PAS CONFONDRE AVEC LE LAB-ÉCOLE
Vous l’aurez sans doute compris, ce dont je parle ici n’a aucun rapport avec le projet de Lab-école de Ricardo Larrivée, Pierre Lavoie et Pierre Thibault. Ceux-ci ont lancé trois chantiers visant à moderniser les infrastructures, et améliorer l’alimentation offerte dans les écoles mais ils ne s’intéressent pas du tout à la « rénovation » de la pédagogie et n’ont aucun lien avec la recherche en éducation.
Un modèle créé il y a plus d’un siècle pour révolutionner l’école
Fidèle à la philosophie de l’éducation nouvelle, les lab schools mettent l‘enfant au coeur du système éducatif. On y propose des méthodes et des stratégies éducatives diversifiées. L’enseignement peut donc être adapté à chaque enfant, dont l’unicité est respectée. Ce sont des lieux de vie, où le rythme de chaque enfant est respecté. Fonder une lab school permet d’une part de créer un lieu qui va tout de suite « aider» les enfants qui vont le fréquenter ; et d’autre part de dialoguer avec le système en documentant ce qui s’y fait, en apportant des données scientifiques qui permettent de discuter avec les décideurs et surtout d’informer la population des innovations possibles.
Cette idée de révolutionner l’école grâce aux labs schools n’est pas nouvelle et était notamment celle de John Dewey qui a fondé une des premières et des plus influentes lab school à Chicago en 1894, dans une philosophie d’éducation progressiste. Son programme ne reposait non pas sur les livres et les récitations mais était centré sur les enfants à l’aide d’activités guidées par leurs intérêts. Il s’agissait du « learning by doing« , « apprendre en faisant ». Les enfants apprenaient en se heurtant à des problèmes pratiques , de la vraie vie QUI FAISAIENT DU SENS POUR EUX qu’ils rencontraient lors d’activités de loisirs (telles que ébénisterie, jardinage, couture, cuisine, etc).
Les lab schools sont aujourd’hui des lieux où l’on peu tester, de manière structurée, des innovations pédagogiques et ainsi répondre à de nombreuses questions laissées en suspens par les études effectuées en laboratoire. Elles permettent ainsi de confronter les théories à la réalité du terrain. Les enseignants peuvent prendre une part active tant dans la définition des questions de recherche que dans leur mise en oeuvre. Ainsi, les lab schools sont des outils essentiels à la transition éducative vers une « nouvelle école » bienveillante et innovante qui respecterait la nature de l’enfant et abandonnerait les méthodes pédagogiques artificielles, dogmatiques et non fondées sur les preuves.
Afin de faciliter cette transition, les lab schools, en plus de réaliser des publications scientifiques, mènent beaucoup d’actions de communication (vidéos, articles de blog, conférences, etc) visant à informer le grand public de ce qui se passe dans ces écoles. Un de leurs objectifs est la dissémination, dans le réseau scolaire régulier, des innovations et des résultats de la recherche.
Quelques exemples de labs schools
Il existerait aujourd’hui plus d’une centaine de lab schools dans le monde, mais il n’y en a aucune au Québec à ce jour (3). La majorité de ces écoles sont situées en Amérique du Nord (on y trouve par exemple les très inspirantes UCLA lab school ; et Khan lab school ). Au Canada, c’est principalement en Ontario que l’on trouve les labs schools. Il en existe au moins 3 à Toronto, dont la lab school du Jackman Institute of Child study qui est une des plus anciennes. Pour en apprendre davantage sur cette école et les labs schools en général, je vous invite à visionner le film documentaire The possible school.
Les valeurs promues par les trois écoles citées ici ont inspiré, entre autres, la création de la Lab School Paris qui a ouvert en septembre 2017, à Paris.
Un modèle très inspirant : la Lab School Paris
La lab School Paris est un projet porté par Pascale Haag, enseignante, chercheuse en sciences sociales et en psychologie. Voyant que la mise en place d’un partenariat avec une université ou l’Éducation Nationale allait considérablement retarder le projet, les fondateurs de l’école ont décidé de partir sur un projet-pilote en créant une école privée indépendante. Au lieu d’être affiliée à un établissement d’enseignement, l’école est reliée à un réseau de chercheurs et d’enseignants: le Lab school Network.
Je trouve cette démarche pro-active et novatrice vraiment très inspirante. C’est un modèle que j’aimerais importé ici au Québec et je tenais donc à vous présenter cette école plus en détails.
L’école accueille pour l’instant 30 enfants de la 2ème à 4ème année, mais des places vont être progressivement ouvertes pour les autres niveaux jusqu’à la 6ème année. Elle est le fruit de deux ans de travail de co-création en partenariat des enseignants, des artistes, des créateurs ainsi que des chercheurs, au sein du Lab school Network.
Dans cette école, ouverte sur le monde, les enfants sont en contact avec des chercheurs, des artistes, des professionnels et des entrepreneurs de différents horizons. Ils échangent régulièrement par visio-conférence avec d’autres lab schools dans le monde.
C’est une école bilingue (français- anglais) qui a à cœur de garantir une grande mixité sociale et culturelle grâce à des bourses financées par des fondations ou du socio-financement.
Le bien-être de tous (enfants et enseignants) est valorisé avec une emphase sur le développement des compétences socio-émotionnelles (soft skills). Ce concept, dont l’importance est grandissante tant à l’école que dans notre société, englobe notamment la confiance en soi, la créativité, la motivation, l’empathie, etc. Différentes techniques de régulation émotionnelle (yoga, méditation, etc.) y sont proposées ainsi que des ateliers sur les émotions inspirés de la communication non-violente. La bienveillance y est à la base de toutes les approches pédagogiques. Le but est que les enfants retrouvent confiance en eux, prennent du plaisir à aller à l’école et s’y sentent en sécurité.
Pour ceux intéressés à en apprendre davantage sur cette école innovante, vous pouvez visionner ce petit film :
De mon coté, j’ai à coeur d’importer ce modèle au Québec, mais je vous en reparlerai plus tard ….
Est-ce que, comme moi, ce type d’école vous inspire ?
N’hésitez pas à partager vos impressions sur le sujet et vos aspirations !
Notes :
(1) Pour plus de détails sur le concept de « société apprenante » proposé par le très inspirant François Taddei, je vous conseille de lire cet article et le rapport qui y est cité.
(2) Dans la suite du texte, j’utiliserai le terme « lab school » pour les écoles déjà existantes afin de respecter le modèle auquel elles s’identifient. Comme dans le contexte québécois, le terme « lab school » peut difficilement être traduit par « Écoles laboratoires », et que le concept n’y est pas encore développé, j’utiliserai le terme « école apprenante » pour désigner les écoles de ce type pouvant être fondées au Québec.
(3) Un premier pas semble avoir été fait car une « école universitaire au primaire » a ouvert en septembre dernier 2017 à Terrebonne. Elle vise à appliquer certaines pédagogies innovantes validées par la recherche et à favoriser le dialogue avec la recherche universitaire en éducation.
La Ferme des enfants : une école de la bienveillance
La Ferme des Enfants est une école fondée il y a 18 ans par Sophie Rabhi dans le but d’offrir une école bienveillante à ses enfants. Elle explique en détails son parcours et son expérience dans ce livre, auquel il manque maintenant un épilogue, dans lequel elle expliquerait comment elle a finalement décidé avec toute l’équipe pédagogique que la bienveillance éducative passait aussi par la démocratie et l’apprentissage dirigé par l’enfant. Les élèves de cette école démocratique sont donc appelés des citoyens. Cette école est située au Hameau des Buis, un Écohameau intergénérationnel dont le fonctionnement est géré par un système de gouvernance sociocratique. L’école est magnifiquement située au milieu des montagnes, près d’une rivière, entourée de champs, de vignes et d’une forêt. Il s’agit d’un lieu qui invite au repos et au ressourcement.
Le lieu
L’école est constituée de différents lieux dispersés sur un immense terrain arboré.
- Le bâtiment principal est un vieux mas qui abrite la cuisine, la cantine qui sert également de salle de réunion et de formation ainsi que la médiathèque à l’étage. Devant le mas, il y a une terrasse avec des tables, un hamac, une balançoire. Durant les formations, il s’agit d’un lieu d’échanges où se rassemblent les gens de passage comme les habitués.
- Il y a également une série de yourtes, chacune ayant une fonction spécifique :
- la yourte des maternelles abritant tout le matériel Montessori (le paradis pour ma fille !)
- la yourte verte du primaire abritant la labo-logosphère dédiée aux sciences et au langage avec également du matériel Montessori.
- la yourte rouge (anciennement yourte laboratoire) que les citoyens ont récemment décidé de garder pour eux afin de s’y rassembler pour jouer ou discuter et dont l’entrée est « interdite » aux adultes (elle est aussi maintenant appelée « yourte des citoyens« );
- Chez Gigi et Chacounet, la yourte dédiée à la médiation (résolution des conflits par la Communication non violente);
- la yourte des arts, dédiée aux activités artistiques (où l’on pratique le Jeu de peindre);
- le Dojo, une yourte où l’on pratique des activités sportives.
- une caravane des langues.
- On y trouve aussi une maison de paille, la Luna, utilisée pour des projections de films et la pratique musicale. Elle contient une grande variété d’instruments de musique.
- Une guinguette a également été ouverte sur proposition des jeunes citoyens et sert des boissons et des crêpes en fin d’après-midi, ce qui permet d’amasser de l’argent pour les différents projets de l’école.
L’école est une véritable ferme avec des chèvres, des poneys et des volailles dont les enfants peuvent s’occuper. On y trouve également un jardin de permaculture, des ateliers d’ébénisterie, une forge, une boulangerie, etc. Les enfants peuvent d’ailleurs aller aider le boulanger à faire du pain le matin, expérience également offerte aux stagiaires et aux visiteurs pour peu qu’ils se sentent l’âme d’un « lève-tôt ».
Un belvédère permet d’embrasser une magnifique vue sur la vallée, la rivière, les montagnes au loin.
En plus des bâtiments de l’école, les enfants ont accès à divers lieux dans le éco-hameau. S’ils le souhaitent, ils peuvent également cueillir des fruits et faire des confitures ou aider à la fabrication des fromages de chèvres qui seront ensuite vendus sur le marché du Hameau des Buis, qui se tient tous les vendredis après-midi.
Les activités
La Ferme des Enfants compte 80 enfants, qui deviennent des « citoyens » une fois qu’ils ont bien en tête les règles, la topographie du lieu, les valeurs (bienveillance, écologie etc) et qu’ils sont prêts à participer à son fonctionnement. Ce passage est officialisé par la validation de sa « carte commune », au plus tard 2 mois après la rentrée. Onze adultes sont présents sur les lieux en permanence, répartis sur les différentes aires et sont prêts à accompagner les jeunes dans leurs activités. Les adultes sont des facilitateurs, faisant partie de l’équipe pédagogique ou des jeunes réalisant un service civique ou encore un programme de volontariat européen. La Ferme accueille également des Grands Ados-Jeunes Adultes ou GAJA, jeunes de 15 ou plus ayant fini leur collège (équivalent du secondaire 3) et qui ont besoin d’une pause avant de décider ce qu’ils souhaitent faire de leur vie professionnelle. Ces jeunes peuvent participer à la vie de l’école en endossant des rôles en relation avec leurs intérêts. Ils peuvent participer aux ateliers et même suivre des cours s’ils en ont envie. Ils permettent d’aider à l’encadrement des plus jeunes.
En début d’année, chaque enfant choisit un parrain au sein de l’équipe pédagogique. Celui-ci sera son référent privilégié, il veillera davantage à son bien-être et à répondre à ses besoins. Il organisera les réunions avec ses parents et l’aidera à développer ses projets personnels.
Les facilitateurs proposent des ateliers et accompagnent les enfants dans leurs apprentissages. Pour les enfants de 3-6 ans, il y a en permanence 2 adultes et un jeune. À l’école, les citoyens de plus de 6 ans sont totalement libres d’aller et venir sur l’ensemble du terrain (avec certaines restrictions pour la rivière). Ceux qui le souhaitent ont la possibilité de participer à de nombreuses activités. Un grand nombre d’ateliers sont proposés par les adultes facilitateurs : des massages, du chant, des jeux coopératifs, mais aussi des enseignements formels pour ceux qui le souhaitent. Une éducatrice Montessori est présente tous les jours pour accueillir et soutenir les enfants de 3-5 ans intéressés par le matériel Montessori. Sophie est également formée pour présenter le matériel Montessori pour les 6-12 ans et notamment raconter aux jeunes intéressés les « Cinq grandes leçons » permettant aux jeunes de comprendre l’origine de l’univers, de la planète, de l’homme et également le développement des connaissances dans l’Histoire.
Une des activités que nous avons testées lors de la formation est issue du programme Massage in school. Il s’agit d’un programme développé il y a plus de 15 ans au Royaume-Uni et qui est maintenant pratiqué dans plus de 1300 écoles à travers le monde (et notamment au Québec). Il s’agit d’une routine de 15 mouvements de massage qui se pratique assis sur une chaise, tout habillé. Les mouvements sont enseignés aux enfants de manière ludique lors de différentes sessions par un instructeur formé. Les enfants volontaires se mettent par binôme selon leurs affinités et vont ainsi réaliser des massages à tour de rôle. Durant la formation, nous avons pratiqué l’ensemble des mouvements et on a trouvé cela vraiment très relaxant. On s’est dit que les enfants étaient bien chanceux de pouvoir pratiquer cette activité régulièrement. Notre formateur a insisté sur le fait qu’il est important d’offrir ce moment aux enfants sans avoir aucune attente (tant en terme d’apprentissage que de comportement). Il s’agit d’un moment de calme et d’échanges qui leur est offert simplement. Il est fort possible que les enfants ressortent de ces séances apaisés, plus calmes et prêts à se concentrés mais cela n’est pas le but recherché.
Il y a également différents clubs qui se créent selon les intérêts des enfants (Journal, Chorale, éthologie, géométrie, musique, football, tir à élastiques, Go, science-fiction). Tout membre de l’école (facilitateur ou citoyen) peut proposer la mise en place d’un club. Par exemple, un enfant qui était passionné par le jeu de GO a créé un club au sein de l’école et a initié ses camarades et les facilitateurs à ce jeu. De plus, afin de diversifier les activités, les citoyens peuvent écrire sur un panneau je demande/je propose les ateliers qu’ils souhaitent offrir ou recevoir. Les enfants peuvent également participer aux commissions chargées d’organiser des activités pour l’école (voyage, petites sorties, ventes, médiathèque).
Concrètement, au quotidien, les enfants passent énormément de temps dehors à se balader et à jouer ou encore à discuter dans la yourte dédiée aux jeunes.
La Gouvernance
Être un citoyen de l’école implique des droits et des devoirs que l’enfant s’engage à respecter en signant un contrat lors de son admission à l’école. Les parents signent également un contrat dans lequel ils s’engagent à accepter que leur enfant soit libre de faire ce qu’il veut à l’école, à lui faire confiance et à faire preuve de bienveillance afin d’être cohérent avec la posture des adultes présents à la Ferme des Enfants.
Chaque enfant doit prendre cinq engagements :
- informer de sa présence sur les lieux
- venir en médiation s’il y est appelé
- ne pas jouer aux jeux vidéos à l’école
- apprendre la culture commune des lieux (gestes écologiques, communication non violente, instances de gouvernance partagée, bon usage des espaces)
- participer aux tâches ménagères
Les enfants participent donc activement au fonctionnement de l’école. Ils se répartissent des rôles afin d’en assurer son entretien, participer à la cuisine, au rangement, aux activités de la Ferme, aux conseils d’école ou de médiation.
LE CONSEIL D’ÉCOLE
L’école est gérée par le Conseil d’École qui décide de son fonctionnement de manière sociocratique. Tous les citoyens et membres de l’équipe pédagogique peuvent participer aux Conseils d’École qui ont lieu tous les vendredis matins. Les décisions sont prises par consentement -zéro objection (pour plus de détails, voir cet article). Il s’agit d’un système de décision particulièrement apprécié par les enfants car ils le trouvent juste. La présence à ces conseils n’étant pas obligatoire (depuis que l’école est devenue « démocratique »), il y a eu, l’année dernière, entre 10 et 30 % de participation aux Conseils d’école.
Le Conseil d’école décide donc des règles à suivre, distribue les différents rôles (médiateur, responsable des repas, de la ferme, etc), donne son accord à la création des commissions, des clubs etc.
Chacun peut y soumettre des demandes pour modifier ou proposer des règles, faire des demandes d’achat ou des demandes de création. Pour cela, il faut remplir un petit coupon et le déposer dans une boite prévue à cet effet qui est ouverte à chaque Conseil. Les jeunes citoyens qui ne savent pas encore écrire peuvent demander l’aide de personnes plus âgées pour rédiger leur demande.
Les décisions et notamment les règles sont prises au fur et à mesure des besoins et affichées sur un tableau dans la cour, visibles par tous.
Il y a environ 50 règles (voir les exemples ci-dessous) qui doivent être connues de tous. Le but est donc d’éviter d’ajouter des règles redondantes ou de garder des règles qui s’avèrent inutiles. Les règles de la Ferme des Enfants ne peuvent contredire les règles du Hameau des Buis (qui prévalent) qui, elles-mêmes, ne peuvent contredire les lois françaises et européennes.
LE CONSEIL DE MÉDIATION
Le Conseil de médiation se réunit tous les jours dans la yourte dédiée (chez Gigi et Chacounet) pendant deux heures pour résoudre les conflits à l’aide de la Communication Non Violente (ou CNV) et de l’écoute active (pour plus de détails sur ces méthodes, voir cet article). La CNV est appelée langage girafe, par opposition au langage « chacal », celui où l’on parle sans empathie (par exemple en accusant quelqu’un d’avoir commis un délit). Des demandes de médiation peuvent être déposées à tout moment dans une boite prévue à cet effet. Celle-ci est ouverte chaque jour et les demandes sont traitées par ordre de date et d’urgence. Si l’on est appelé en médiation, on a l’obligation de s’y rendre.
Le Conseil de Médiation est formé d’enfants, d’adolescents et d’adultes volontaires. Ils sont tous formés au préalable à la médiation CNV.
Les enfants peuvent convoquer une autre personne avec qui ils ont vécu un conflit et les médiateurs vont les inviter à suivre le processus de CNV (observer, exprimer ses sentiments et ses besoins, formuler une demande), de façon un peu allégée pour les enfants. Ici on ne parle pas de victimes ou de coupables mais de médians. Durant le processus, les médiateurs et les médians vont s’intéresser aux faits, au ressenti et aux besoins de chacun afin de trouver une solution qui convient à tout le monde. Ceci évite le recours à des punitions, des sanctions ou des jugements et aide les enfants à développer leur empathie et leur propre aptitude à résoudre les conflits et trouver des solutions par eux-mêmes. Aussi enseigner cet outil aux enfants augmente leurs chances d’être mieux compris et de mieux se faire comprendre.
Les enfants peuvent également faire une demande de médiation « immédiate », sans attendre le conseil de médiation en allant chercher une personne formée en CNV et faisant partie des médiateurs volants.
Les mesures « disciplinaires »
Si un citoyen est appelé 3 fois en médiation pour les mêmes raisons, un processus d’accompagnement est lancé avec les parents et leur parrain ou marraine. Le citoyen doit se présenter à 4 rendez-vous à une semaine d’intervalle pour évaluer la situation et savoir s’il est apte ou non à conserver sa liberté.
Les restrictions de liberté sont de deux ordres : soit l’enfant doit rester un mois dans un petit périmètre soit, pour les cas les plus graves, il doit rester trois semaines chez lui.
Admission et frais
Avant d’admettre un enfant à l’école, les parents sont invités à lire des livres de référence sur le sujet de l’éducation bienveillante et à visiter l’école lors d’une des journées portes-ouvertes hebdomadaires. Ils doivent également y passer une demi-journée en observateur. Il est très important que les parents et les enfants aient bien conscience du fonctionnement de l’école et que cela convienne à tous. En effet, bien souvent les familles viennent de loin pour mettre leur enfant dans cette école. Ils quittent leur emploi, leur famille et leur réseau social pour offrir ce type d’ éducation et parfois ils peuvent avoir des attentes assez hautes, au regard de leur « sacrifice ». Or il est important de conserver une bonne entente et une relation de confiance entre les familles et l’équipe pédagogique, ce qui passe par beaucoup d’explications et de réflexion en amont. Les parents peuvent se rendre au café des parents hebdomadaire ce qui leur permet de rencontrer l’équipe pédagogique ou d’échanger entre eux pour rester connectés à l’école. Sophie a souligné que les parents trouvaient cela très rassurant de se sentir accueillis régulièrement à l’école.
Les parents doivent faire 60 heures de bénévolat par an. Les frais de scolarités (ou écolages) sont de 3000 euros par an, ce qui est peu pour une école privée. Ces frais sont faibles notamment car le salaire de tout le personnel est bas (10 euros de l’heure quelque soit le poste), que les facilitateurs sont souvent payés à l’heure, que des volontaires aident à l’encadrement, qu’une partie de l’entretien de l’école est prise en charge par les citoyens et également grâce aux heures de bénévolat des parents. Les parents ayant plus de moyens sont invités à faire acte de solidarité en valorisant leur participation financière.
Une école en évolution…
En France l’instruction est obligatoire, les enfants doivent apprendre des notions de base, ce que l’on appelle le socle commun. Ainsi l’école n’est pas tenue de suivre le programme de l’Éducation Nationale mais doit permettre aux enfants d’acquérir ce socle commun, selon des paliers d’âge prédéfinis. Ces apprentissages sont généralement validés par des visites annuelles de l’inspecteur d’académie. Afin d’évaluer de manière implicite les apprentissages informels pouvant se rapporter au socle commun, l’équipe pédagogique a utilisé un logiciel crée par l’école dynamique (ATHENA), qui permet de traduire en compétences du socle commun, tout un tas d’activités que les enfants peuvent faire dans l’école. Par exemple faire des crêpes pourrait être traduit en diverses compétences en lecture et mathématiques. Cependant l’équipe pédagogique a trouvé que son utilisation était laborieuse et très chronophage. Ils ont aussi trouvé difficile de suivre ainsi chaque enfant. Leur demander ce qu’ils ont fait ou essayer de les avoir sous les yeux n’est pas forcément compatible avec la topographie du lieu ou même l’esprit de l’école démocratique puisqu’idéalement les enfants n’ont de compte à rendre à personne.
Pour la deuxième année, l’équipe a donc décidé de plutôt suivre de manière informelle les enfants en photographiant leurs réalisations ou leurs activités afin de constituer des porte-folios dans lesquels ils pourront souligner les compétences associées. Il existe également une correspondance entre les activités Montessori et les compétences du socle commun. N’ayant pas été inspecté pour cette première année, ils n’ont pas d’idée de comment sera reçue leur nouvelle organisation.
Retour sur le changement de fonctionnement
Depuis que l’école est devenue démocratique, Sophie trouve qu’il y a beaucoup moins de tension. Cependant le nombre de demande de médiation est vraiment très élevé. La médiation constitue un aspect très important de la vie des enfants. L’idée est qu’à force de participer aux conseils de médiation, les enfants vont apprendre à gérer leur conflit par eux-même.
La transition vers un modèle démocratique n’est cependant pas évidente à vivre. Il faut désapprendre le fait de suivre un programme, d’avoir des examens, un emploi du temps etc. Certains enfants que j’ai rencontrés durant le stage m’ont confié être un peu déroutés par ce changement. Les enfants (et leurs parents) étaient encore en phase d’adaptation après la première année.
Il sera vraiment intéressant de voir l’évolution de l’école et des projets qui s’y réalisent. Déjà, entre le moment où je l’ai visitée (à la fin de sa première année de vie « démocratique ») et maintenant, certaines modifications et adaptations ont été apportées. Elle va donc être en constante évolution pour trouver l’équilibre « juste » pour l’ensemble de la communauté de la Ferme. Pour ceux qui s’y intéressent de plus près, vous pouvez aller voir le site internet de la Ferme des Enfants ou le blog réalisé par les collégiens.
Personnellement, j’ai été impressionnée par la richesse des activités réalisées à la Ferme, et par la maturité des enfants que j’y ai croisés. Certains gèrent de manière totalement autonome la guinguette. Ils font preuve d’un très grand sens des responsabilités. Ils utilisent leur liberté pour suivre leurs intérêts, se lancer des défis, fonder des projets et des clubs en tout genre. Je suis vraiment admirative de leur élan et de leur motivation !
Ma semaine à la Ferme des enfants (Troisième épisode) : la prise de décision par consentement en sociocratie
Je continue ma série d’articles sur la Ferme des Enfants par la formation en gouvernance partagée et sociocratie que nous avons reçue. J’avais déjà entendu parlé de gouvernance partagée et je connaissais les principes de base de la sociocratie et notamment de la prise de décision par consentement sans avoir une idée très claire de la manière dont cela pouvait être mis en œuvre de manière pratique.
Durant cette semaine de formation, c’est Laurent Bouquet, le conjoint de Sophie et cofondateur de la Ferme des enfants qui nous a enseigné cette technique et de manière « pratico-pratique » et très dynamique. Il nous a tout de suite mis dans le bain en nous expliquant qu’on allait devoir utiliser la prise de décision par consentement –zéro objection afin d’organiser la soirée festive de fin de stage. Or, comme on était nombreux (24 stagiaires) et que le temps imparti pour la réflexion et la prise de décision était relativement court (deux fois 1h30), il a animé notre réunion en véritable chef d’orchestre, s’assurant que l’on ne se perdait pas en détails et en digressions. Il nous a fait plonger directement dans le processus sans trop nous expliquer la théorie et je dirais qu’en effet, la pratique de ce type d’exercice vaut mille mots.
Pour ceux qui veulent avoir plus de détails, (en attendant d’avoir l’occasion de la pratiquer), je vous conseille le très bon MOOC en gouvernance partagée organisé par les Colibris (voir aussi cette animation pour un super résumé du processus).
La sociocratie est un outil incroyablement efficace pour prendre des décisions, animer des réunions, pour peu que l’animateur de la réunion soit bien au fait de la technique, vigilant quand aux respect des règles et du timing.
Ma façon de voir les réunions a été révolutionnée.
La prise de décision par consentement est une procédure assez protocolaire et donc bien balisée, qui permet de prendre des décisions, d’organiser des évènements (ou autre) rapidement et en limitant les frustrations ou ressentiments éventuels qui peuvent naitre dans les réunions où l’on pratique la négociation suivie d’un vote à la majorité.
Au-delà du processus de prise de décision finale, toute la progression et l’organisation des différentes phases des réunions a été très instructive. Je pense que ce sont les 2 seules réunions de ma vie que j’ai trouvées réellement constructives, productives et diablement efficaces. Pas une minute n’a été perdue à faire autre chose qu’avancer sur la question posée.
La clé est cependant d’avoir un leader/animateur de réunion très bien formé à la procédure qui peut ainsi bien gérer les interventions des gens, tant en terme de temps qu’en terme de contenu. Cela permet de garder la réunion dynamique et concise. On est obligé de se concentrer pour ne pas « rater le coche ». Aussi on sait que ça va être rapide donc c’est plus facile de se motiver pour rester concentré.
Alors allons-y, je vous explique maintenant quelle est cette technique révolutionnaire pour prendre des décisions (même à 24 !!!!!).
La première partie est la « mise en proposition », ou consensus systémique (voir figure ci-dessous), un ensemble de 3 étapes visant à énoncer la question, écrire et évaluer les propositions du groupe. Cette procédure peut être appliquée à l’organisation de n’importe quel évènement ou même discussion où plusieurs solutions peuvent être proposées.
Voici les étapes que l’on a suivies :
- On a commencé par une réunion stratégique (de 30 minutes) lors de laquelle la question a été énoncée (Ici, « que voulez-vous faire lors de votre soirée festive ? ») et chacun a pu apporter sa réponse en mode « popcorn ». Dans cette phase, les idées fusent sans que l’on se soucie de la faisabilité, du comment, du pourquoi ou du qui. On ne fait pas de tour de parole un par un, chacun peut s’exprimer, dès que l’autre a fini. Il s’agit donc de faire des propositions, qui sont notées à la vue de tous par l’animateur de la réunion. Pour plus de clarté, chaque proposition est nommée par une lettre de l’alphabet.
Par exemple :
A. Méditer sous les étoiles,
B. Écouter de la musique avec une sono.
Ensuite chacun a évalué à l’écrit sa résistance ou tension ressentie par rapport à chaque proposition. On a donc attribué, à chaque proposition une note de 0 (aucune résistance, je suis parfaitement d’accord avec cette proposition) à 10 (très forte résistance, je suis totalement opposé à cette proposition). Donc typiquement, celui qui a proposé mettra 0 à son idée. Si on met 5, c’est qu’on ne tient pas particulièrement à cette idée (cela nous est égal que la proposition soit acceptée ou non mais on ne va pas se battre « pour »), mais ça ne nous gène pas qu’elle soit retenue (on ne va pas non plus se battre « contre »). Ici on ne s’exprime pas contre la personne qui a proposé (d’ailleurs son nom n’est pas noté) mais juste en fonction de notre ressenti personnel face à cette proposition. On a donc pris 10 minutes pour évaluer les 20 propositions.
Dernière étape dans cette phase de mise en proposition : la notation collective ou expression du groupe. Pour chaque proposition, on a additionné les points accordés par chacun. On a fait, pour cela, un petit exercice de calcul mental. La première personne devait donner son score à la proposition A, la 2ème devait alors ajouter son propre score dans sa tête et dire oralement le résultat de l’addition. La troisième personne ajoutait à son tour son score au résultat obtenu et ainsi de suite jusqu’à ce que tout le monde ait parlé.
Cette phase d’expression du groupe, permet d’aboutir à une évaluation chiffrée des résistances du groupe face à chaque proposition. C’est un réél exercice de co-créativité. Le résultat final émergera d’une réflexion commune où chacun a pu donner ses idées (lors de la proposition) ou son avis (lors de la notation). Le résultat pourra donc être « assumé » par l’ensemble du groupe.
Ce processus est également appelé consensus systémique.
2. On est ensuite passé à la formation d’un groupe de travail qui s’est réuni afin de faire une proposition opérationnelle. Dans notre cas, ce groupe de travail était constitué de 5 personnes qui se sont portées volontaires (mais on aurait aussi pu faire une élection sociocratique). Elles avaient pour mandat de travailler à partir des propositions du groupe (et de leur notation) et de faire de leur mieux, dans le temps imparti (une réunion d’une heure trente environ) pour proposer un programme pour la soirée festive . Pour cela, le groupe de travail devait utiliser une fiche de proposition afin de rédiger la proposition. Cette fiche d’une page contient différentes sections (thème, sujet, contexte, question à traiter, proposition détaillée incluant qui fait quoi, le budget), et notamment les avantages et inconvénients de la proposition.
Une proposition n’a pas besoin d’être très précise car le groupe peut la bonifier par la suite et la proposition mûrit avec le collectif.
Le groupe de travail a nommé une « présidente » de groupe agissant en tant que porte-parole et qui s’est chargée de présenter la proposition et de répondre aux questions. Une fois rédigée par le groupe de travail, la fiche de proposition a été distribuée au groupe qui en a pris connaissance avant la réunion de « prise de décision par consentement-zéro objection ».
3. Prise de décision à zéro objection
Document tiré des ressources de l’Université vivante, mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.
La prise de décision par consentement peut être utilisée pour n’importe quel type de décision, pourvu qu’une proposition ait été élaborée au préalable. Elle diffère d’une prise de décision par concensus car ici, on ne cherche pas à avoir un « oui » unanime mais plutôt à ne recueillir aucun « non », c’est-à-dire, aucune objection. À savoir qu’une objection doit être jugée légitime par l’animateur et n’est pas une simple préférence (on en reparle plus bas).
3.1 Présentation de la proposition
La présidente du groupe de travail a présenté la proposition au groupe en suivant la fiche rédigée. Tous les participants ont écouté activement en prenant des notes. Dans notre cas, le groupe de travail avait essayé de garder la plupart des propositions qui avaient été émises et qui avaient reçu le moins de résistance en rendant optionnelles certaines activités (se balader vers la rivière, méditer sous les étoiles, faire un atelier de dégustation de vin).
3.2 Phase de clarification
Tous les participants ont pu poser des questions pour clarifier la proposition, en mode pop-corn. Le but était de clarifier ce que l’on n’avait pas bien compris et non de faire des contre-propositions induites. À ce stade, on ne donnait donc pas notre avis.
3.3 Tour d’expression
Chacun avait une minute pour donner son avis (qui pouvait être très bref lorsque la proposition convenait). Il était toutefois possible de souligner ce qui nous plaisait particulièrement. On pouvait également spécifier ce qui nous plaisait moins et préciser ce qui manquait ou ce qu’il aurait fallu changer pour que ça nous plaise plus. Par exemple, une personne a dit qu’elle trouvait dommage de faire plein d’ateliers optionnels différents en même temps car elle pensait que ça allait limiter la cohésion du groupe et les occasions d’échanger tous ensemble.
3.4 Bonification de la proposition
La chef du sous-groupe de travail a alors modifié la proposition en fonction des commentaires qui ont été émis par le groupe. Il s’agissait ici de bonifier la proposition pour qu’elle plaise au plus grand nombre. La chef de groupe était ici souveraine. Elle représentait le groupe mais dans sa propre subjectivité et et devait prendre la responsabilité de modifier autant qu’elle le souhaitait la proposition, sans consulter son groupe de travail. Les membres du groupe de travail avaient la possibilité « d’objecter » lors de l’étape suivante. L’animateur notait les modifications au fur et à mesure. Lors de cet exercice la chef du groupe de travail a courageusement fait un gros ménage en supprimant beaucoup d’activités optionnelles et en simplifiant beaucoup la proposition.
3.5 Le tour d’objection
On a été invité, chacun à notre tour , à se prononcer sur la nouvelle proposition en disant « pas d’objection » ou » j’ai une objection » sans détailler la nature de l’objection. L’animateur a pris en note la liste des personnes qui avaient une objection.
Il est important de comprendre qu’une objection n’est pas une préférence. Il s’agit plutôt d’un aspect de la proposition qui nous pose vraiment problème, « avec lequel on ne peut pas vivre ». Il s’agit de quelque chose qui est contraire par exemple à nos valeurs ou qui va limiter notre engagement et notre motivation dans la poursuite du projet.
Une fois le tour de table fini, l’animateur a invité la première personne à expliquer son objection. L’animateur a alors posé des questions pour être sûr de bien la comprendre, et identifier les besoins sous-jacents. Cette phase lui a permis de « qualifier » l’objection (et de s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une préférence). Une phase de discussion a suivi afin de voir ce qui pouvait lever cette objection. Durant cette étape, le groupe s’est concentré sur les besoins de la personne qui a objecté, sans se soucier des autres objections suivantes ou des nouvelles objections qui auraient pu en découler. Tout ceci se fait sans jugement, en faisant de l’écoute active pour comprendre parfois ce qui se cache derrière une objection. L’animateur a alors fait une proposition pour répondre au besoin de la personne qui avait objecté. La personne a considéré que la proposition répondait bien à son besoin et elle a levé son objection. Dans le cas contraire, on aurait dû chercher une autre proposition. Il faut alors être imaginatif. Une fois que la première objection a été levée, on a passé en revue toutes les objections suivantes. Une fois que toutes les objections ont été levées, la proposition bonifiée a fait l’objet d’un second tour d’objection. On a recommencé le processus jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’objection.
Dans notre cas, la première objection était partagée par plusieurs personnes. En la traitant, on a donc levé plusieurs objections en même temps. Certaines objections nous ont permis de parfaire l’organisation pratico-pratique de la soirée, en soulignant qu’il fallait désigner des personnes responsables pour coordonner chaque aspect de la soirée. Nous avons eu finalement 3 tours d’objections. J’ai été impressionnée de voir à quel point les objections ont permis de bonifier le programme de la soirée. Cette réunion incluant les 3 tours d’objections a duré 1h30. À la fin, on avait un programme précis de la soirée, une liste des choses à faire, les responsables en charge de coordonner les différentes activités et la satisfaction d’avoir abouti à un résultat qui convenait à tout le monde sans qu’il y ait eu de perte de temps ou de friction interpersonnelle.
Cette expérience m’a appris trois points essentiels sur ce mode de décision :
- Poser une objection est un acte de co-création :
Dans notre exemple les objections se sont révélées très constructives et elles ont souvent été partagées par plusieurs personnes qui n’avaient pas forcément osé poser une objection. Cela m’a fait réaliser l’importance de ne pas hésiter à exprimer une objection, de surmonter la peur (infondée) de passer pour « un rabat-joie tatillon ». C’est sûr qu’au début, il est très difficile de savoir si notre objection est valable ou non et il peut être tentant de se retenir de l’exprimer. Pourtant, il est courant que plusieurs personnes aient la même objection sans oser la nommer. Pour se sentir plus à l’aise, il faut voir les objections comme des occasions de bonifier la proposition. Il est important de penser à ses propres besoins et ne pas se restreindre par peur d’aller contre le groupe. En sociocratie, les besoins de chacun sont légitimes. Il n’y pas d’idée qu’un individu doit se conformer à l’avis de la majorité. Chaque individualité a sa place.
- Travailler sur une proposition à bonifier évite les remises en question incessantes:
Le fait de travailler sur une proposition, un texte écrit, lu par tous dans l’optique de la bonifier, sans possibilité de revenir en arrière pour tout changer permet d’avancer plus vite. Chacun sait que le but est d’avancer pour finaliser la proposition. Le fait de ne pas revenir en arrière ou de tout recommencer à zéro comme c’est parfois le cas lors de certaines prises de décision mais plutôt de modifier la proposition juste ce qu’il faut pour être « acceptable » permet de canaliser les énergies et de simplifier les discussions.
- Avoir un protocole de travail balisé avec des étapes claires permet d’éviter les discussions stériles
Dans cette procédure, il n’y a pas de place pour discuter des préférences ou des détails que l’on aurait vus différemment. Cela signifie que le résultat final ne correspondra pas à l’idéal de chacun, mais sera plutôt un compromis acceptable (on dit parfois « good enough for now » ou « safe enough to try »). On n’a donc pas besoin de négocier chaque détail. Cela permet d’éviter les digressions et les monologues de ceux qui aiment parler pour ne rien dire.
Dans l’exemple que j’ai donné, tout s’est passé très vite car l’enjeu était peu chargé émotionnellement. La question posée était très pratique. Cependant, j’ai pu observer que lorsque l’enjeu discuté touche particulièrement les participants, la phase du tour d’expression peut être prolongée pour « contacter le problème ». Cette phase est alors très enrichissante et permet de bien mettre à plat les résistances de chacun avant d’essayer de résoudre le problème.
La prise de décision par consentement est donc un des outils de base de la sociocratie et elle peut être utilisée dans tout type d’organisation ayant une « gouvernance partagée ».
Gouvernance partagée :
Bien que l’on n’ait pas abordé en détails tous les aspects du fonctionnement de la gouvernance partagée (qui fait l’objet d’une formation de 5 jours), je peux vous partager ce que nous en a dit Laurent Bouquet. La gouvernance partagée diffère de la gouvernance hiérarchique habituelle car elle distribue le pouvoir sur des cercles spécialisés qui vont s’échanger les informations pertinentes. Mais il ne s’agit pas de tout discuter et de tout « voter » en groupe car ce mode de fonctionnement s’est montré particulièrement peu efficace pour aboutir rapidement à des actions concrètes. Dans une gouvernance partagée, des rôles avec un champ de décision et de compétences spécifiques sont distribués. Ainsi chaque personne va avoir son périmètre d’action et de décision. En cas de désaccord, il existe des procédures pour soit demander un changement de décision ou rééavaluer le champ d’action du rôle. Ainsi il y a en amont un gros travail pour décider ce qui se décide en groupe et ce qui est délégué à un rôle précis. Une fois ce travail fait, le groupe peut ainsi avancer rapidement et seul les enjeux importants sont discutés dans les cercles.
À la Ferme des Enfants, le Conseil d’École prend ces décisions grâce au consentement zéro-objection. Il semble que les réunions soient efficaces et que les enfants apprécies la procédure car ils savent qu’il y a des règles justes.
Cette expérience de prise de décision m’a beaucoup plu et m’a donné envie d’aller plus loin. J’ai été séduite tant par les aspect pratiques que sur l’aspect humain. En effet, la sociocratie se base sur une communication sincère, dénuée de jugement, permettant d’offrir un lieu d’échanges où l’on peut déposer ce que l’on a sur le coeur. La sociocratie est bien plus qu’une façon de gérer les réunions, de prendre des décisions. C’est vraiment une autre façon de penser les échanges humains au sein d’organisations en tout genre. Cela peut même s’appliquer à la famille.
Je ne prétend pas ici donner une vue exhaustive de ce qu’est la sociocratie mais je voulais vous partager mon expérience et vous recommander chaudement d’essayer d’en apprendre davantage et si possible de vous y faire initier par quelqu’un d’expérience. Il s’agit vraiment d’une pratique qui se vit plutôt qu’elle ne se lit.
Alors je vous souhaite une bonne expérimentation !!!
Ma semaine à la Ferme des Enfants (Deuxième épisode) : La Communication Non Violente
Je continue ma série sur la Ferme des Enfants en vous faisant part de ce que j’ai appris sur la Communication Non Violente (ou CNV) .
En effet, au cours de la formation, Sophie nous a expliqué les bases de la CNV qui tient une place très importante à la Ferme des Enfants, notamment pour résoudre les conflits entre les citoyens.
J’avais déjà entendu parlé de cette pratique et j’avais cru comprendre qu’il s’agissait d’une façon de bien négocier et de limiter les frustrations liées aux problèmes de communication. J’avais la sensation qu’il s’agissait là d’une méthode bien compliquée que l’on ressortait en cas de blocage majeur afin de simplifier une communication défectueuse. Or grâce aux explications de Sophie, à un exercice de mise en situation (que je vous décris plus bas) et à ma lecture de la bible de la CNV (« Les mots sont des fenêtres » de Marshall Rosenberg), je me suis rendue compte que c’est bien plus que ça.
La CNV est une nouvelle façon de vivre et cela s’adresse d’abord à soi-même avant d’être un outil pour communiquer avec les autres.
Il s’agit tout simplement de savoir être à l’écoute de nos propres besoins et envies et d’être bienveillant envers nous-même en pratiquant l’auto-empathie.
Cela peu paraître d’abord flou et un peu perché comme pratique mais, moi qui suis assez cartésienne, j’ai été convaincue par la logique évidente derrière cette pratique et par le protocole simple et très balisé à mettre en place.
La CNV part du principe que chaque être humain a des besoins, que chaque besoin est légitime et que la plupart des conflits provient d’un besoin inassouvi. Personnellement, je trouve cette idée incroyablement rassurante et porteuse d’espoir.
Chacun est responsable de combler son besoin, et donc de s’arranger pour que son besoin soit comblé tout en respectant les besoins des autres.
C’est là, la force de la méthode: fini les « je vais prendre sur moi, faire des efforts, essayer de changer pour devenir meilleur ». Il s’agit de comprendre ce qui nous manque profondément et d’en faire la demande afin de trouver une solution qui convienne à tout le monde.
La communication non violente permet donc de combler nos besoins profonds et ceux des autres par des sortes de compromis gagnant-gagnant.
Je trouve que c’est un outil magique qui permet de se responsabiliser. Une autre idée que je trouve fort intéressante est que, lorsqu’on est en colère contre quelqu’un, on doit se demander pourquoi on est vraiment en colère. Car chaque situation peut être vue de manière très différente selon le point de vue et l’état émotionnel de chacun. Ce qui nous énerve, n’énervera peut-être pas notre voisin. Bien que l’attitude de l’autre puisse être un facteur déclencheur, la colère prend son origine en nous. En cherchant à en comprendre l’origine, on va identifier le besoin inassouvi qui se cache derrière et il nous restera plus qu’à trouver comment le combler.
Ainsi la colère de chacun lui appartient. Le corolaire de ceci est qu’on ne doit plus projeter nos peurs sur l’autre, ne plus se demander ce que l’on a fait pour l’agacer. C’est à l’autre de faire le travail pour comprendre l’origine de sa colère.
Cette philosophie allège beaucoup notre propension à nous auto-flageller et nous sentir responsable des mauvaises humeurs de notre entourage. On ne projette plus. Personnellement je respire beaucoup mieux !!!
La méthode de la CNV peut paraitre assez fastidieuse au début. Mais il est nécessaire de la suivre à la lettre, au début, afin d’automatiser cette nouvelle « gymnastique mentale ». Cette méthode est appelée OSBD (pour Observation, Sentiment, Besoin, Demande) est souvent illustrée par un bonhomme (voir image ci-contre).
Les quatre étapes à suivre sont donc :
- Observer la situation et la décrire de manière objective;
- identifier et dire notre Sentiment face à cette situation, « parler en je »;
- comprendre quel est le Besoin derrière ce sentiment et l’exprimer;
- formuler une Demande à l’autre afin de combler notre besoin.
Par exemple, au lieu de dire « J’en ai marre, c’est toujours moi qui fais les courses !! », qui sonne comme un reproche, on pourrait suivre la démarche ci-dessus et dire: « Cette semaine, j’ai fait les courses lundi, mercredi et jeudi. Aujourd’hui je me sens fatiguée. J’ai vraiment besoin de me reposer, ça te dérangerait de les faire aujourd’hui ? ». Dans cette version, on évite de généraliser (« toujours »), on décrit les faits, on expose clairement notre besoin et on fait une demande précise.
En CNV, on n’exige rien de l’autre mais on part du principe qu’en parlant en « je » et en exprimant nos sentiments, l’autre ne sentira pas notre demande comme un reproche ou une exigence et sera plus enclin à accéder à notre demande.
Si on reçoit un refus, on peut commencer à discuter plus en détails de nos besoins et de ceux de l’autre et faire une médiation afin de trouver une solution gagnant-gagnant. Avec la CNV, on apprend à ne plus vouloir changer l’autre, à l’accepter tel qu’il est, et à comprendre les éventuels besoins « cachés » derrière ses actions.
Il existe des règles importantes qui simplifient d’emblée la communication :
- dans la phase d’observation, il ne faut pas mettre d’éléments perturbateurs de communication qui sont sujets à interprétations. Il faut être le plus précis possible sans y ajouter de jugement personnel. Il faut se rappeler que les valeurs varient beaucoup d’une personne à l’autre. Par exemple si je dis que je me suis levée super tôt ce matin, certaines personnes peuvent penser qu’il était 5h alors que pour d’autres un réveil précoce c’est 7h. Il vaut donc mieux donner l’heure exacte.
- parler à la première personne (de nos sentiments et de nos besoins) et donc ne pas dire « tu ne fais pas ci… ». Lorsque l’on commence une phrase par « tu… » la personne va avoir l’impression de recevoir un reproche et sera beaucoup moins enclin à accepter la demande. Au lieu de dire, « tu ne m’écoutes jamais », on pourrait dire « je me sens frustrée, j’ai besoin de sentir plus de compréhension lorsque nous discutons ».
- ne pas employer les termes imprécis tels que « jamais, toujours, encore » (cf l’exemple des courses) car l’énoncé devient imprécis voire faux. On n’est pas sûr de ce qui est insinué ou non. Cela ouvre la porte à beaucoup d’interprétations et cela peut être reçu à nouveau comme un reproche.
- formuler une demande précise ( par exemple : « J’aimerais que tu…, Pourrais-tu ?, est-ce que tu serais d’accord ? »). Plutôt que de dire « pourrais tu être plus présent ? », il vaut mieux dire « peux-tu souper avec moi 3 fois par semaine? ». Lorsqu’une demande floue est faite, la plupart du temps l’autre ne sait pas comment y répondre concrètement et ne fait rien.
- il ne faut pas vouloir changer l’autre. On doit apprendre à formuler des demandes concrètes qui comblent nos besoins sans nier la liberté et la personnalité de l’autre.
- on accepte le refus, c’est-à-dire que notre demande n’est pas une exigence. On reste ouvert à la réalité de l’autre.
- si l’autre n’est pas prêt à écouter nos sentiments, nos besoins et notre demande, il peut être judicieux d’inverser les rôles et de faire de l’écoute active (que je décris plus bas) afin que la personne puisse prendre conscience de ses besoins. Souvent cette prise de conscience déclenche une détente immédiate qui facilite la discussion.
- il est important de ne pas rester dans l’émotion et de bien pousser la démarche jusqu’à l’identification des besoins sous-jacents. On ne peut pas trouver de solution, si on reste dans l’émotion.
- Il est également important d’identifier avec les mots justes nos besoins et nos émotions. Malheureusement, on a si peu l’habitude de parler de ce que l’on ressent, que l’on ne trouve pas toujours le mot adéquat qui illustre toute la subtilité de notre sentiment. Pour nous aider, des listes d’émotions et des besoins sont fournies dans le livre de Rosenberg et disponibles également sur internet.
Pratiquer la CNV, ce n’est pas seulement exprimer nos émotions et nos besoins mais cela implique également d’apprendre à recevoir un message difficile. Le dessin ci-dessous illustre les 4 façons de recevoir un message difficile, par exemple « tu ne m’écoutes jamais ».
On peut se sentir fautif, rejeter la faute sur l’autre, entendre les sentiments et les besoins en nous ou entendre les sentiments et les besoins en l’autre. Évidemment les deux premières options sont à éviter si on veut faire preuve de bienveillance envers soi-même et envers l’autre. Il est probable que la dernière option (entendre les sentiments et les besoins de l’autre) est celle qui permettra à la situation de se débloquer et ainsi de trouver une solution constructive.
On ne peut pas faire preuve d’empathie avec l’autre si l’on n’est pas bienveillant envers soi-même. Pour pratiquer la CNV, il faut donc s’assurer d’avoir les ressources affectives adéquates (voir dessin ci-contre).
On peut ainsi appliquer le procédé à soi-même en faisant de l’auto-empathie qui permet de concilier les deux faces de notre « moi » qui s’opposent parfois. Par exemple, si on est énervé contre quelqu’un (au hasard notre enfant…), une partie de nous peut avoir envie de lui lancer des reproches à propos de ce qui nous agace et que l’on veut changer au plus vite (« j’en ai marre, ta chambre est déjà en désordre alors que je viens de passer 2 heures à la ranger, tu ne respectes pas mon travail… »). Mais une partie de nous peut aussi culpabiliser de nous énerver aussi vite (« je devrais garder mon calme, j’en ai assez de crier sur mon enfant « ). Il faut alors prendre le temps de s’écouter et de faire une sorte de dialogue intérieur pour mieux comprendre ce qui nous énerve (« je manque de temps pour moi, et j’ai besoin que mon travail soit respecté et je ne veux plus avoir l’impression de perdre mon temps« ). On doit alors nous pardonner cette énervement (« je suis humain ») et trouver ce qui nous soulagerai (« j’ai besoin de prendre quelques heures pour moi pour me sentir moins surmené ») . Ainsi, on se met dans les bonnes conditions pour nous adresser à l’autre sans risquer de dire des choses que l’on va regretter.
L’écoute active
Lorsque l’on utilise la CNV, on est amené à faire de l’écoute active, une autre révélation pour moi. Il s’agit d’écouter avec bienveillance, sans jugement et avec une empathie sincère, ce que nous dit l’autre.
Par exemple, si quelqu’un vient nous raconter une difficulté, au lieu de le rassurer, de lui proposer une solution ou d’essayer de lui changer les idées, on va tout simplement l’écouter sincèrement, reformuler ses paroles pour être sûr d’avoir bien compris, parfois le paraphraser un peu. Le but est que la personne sache qu’elle est écoutée et comprise. On peut ainsi l’amener à aller plus loin dans sa réflexion afin qu’elle trouve l’origine profonde de son problème. En agissant de la sorte, la personne est bien souvent capable de trouver seule la solution à son problème (qui peut parfois être bien plus complexe qu’on ne l’aurait imaginé au départ). C’est très gratifiant d’être capable de résoudre ses propres problèmes. Et souvent les entendre dans la bouche de quelqu’un d’autre nous aide à réaliser quel est le vrai problème, cela nous aide à relativiser et à mettre en perspective notre situation.
Attention aux obstacles à l’écoute active et empathique
Lorsqu’un proche nous expose un problème, on est parfois tenté de l’aider de différentes façons (donner un conseil, parler de notre propre expérience, lui changer les idées, le rassurer). Bien qu’elles nous semblent utiles et qu’elles partent de bonnes intentions, ces « réponses » vont parfois avoir l’effet inverse. Durant la formation, on a reçu une liste de ce que Rosenberg appelle des « obstacles à la communication empathique ». Il s’agit de réactions qui ne reposent pas sur une empathie sincère et qui ne vont pas forcément aider l’autre à se sentir mieux ou du moins écouté.
En voici des exemples :
Je comprends enfin pourquoi, parfois, lorsque que je veux discuter d’un problème et que l’on me coupe pour me proposer une solution toute prête, je me sens frustrée. J’ai alors le sentiment de ne pas avoir été écoutée et de ne pas être vraiment capable de sortir de mon problème. La plupart du temps, il suffit de quelqu’un qui tend l’oreille et qui nous accompagne simplement et de manière bienveillante dans notre réflexion pour que tout se décoince.
Durant le stage, on a fait quelques mises en situation tirées de l’expérience des stagiaires. J’ai moi-même exposé ma situation conflictuelle avec ma plus grande qui fondait en larmes à chacune de mes demandes (du type : peux-tu t’habiller, te laver les dents, aller faire pipi…). On a joué la situation telle qu’elle se passe habituellement. Une stagiaire s’est mise dans la peau de ma fille (merci Géraldine !!) et m’a exposé son ressenti face à mes demandes et mon attitude. Après discussion des besoins de chacun (les miens et ceux de ma fille), on a rejoué la scène en langue girafe (la langue de la CNV).
L’exercice d’empathie que cela m’a demandé m’a fait réalisé ce que j’imposais à ma fille, ce qu’elle pouvait ressentir et à quel point il était simple de dénouer une situation qui me semblait insoluble car ancrée dans une habitude.
Je suis ainsi passée de mes pensées en langue chacal « Ma fille ne veut rien faire par elle même, elle régresse, elle est tout le temps de mauvaise humeur, elle veut me faire tourner en bourrique, me fait perdre du temps » à une compréhension empathique en mode girafe « ma fille a besoin de remplir son réservoir affectif avec moi, la présence de son petit frère et le fait que je m’en occupe beaucoup, lui provoque une sensation de manque. »
En prenant le temps de me poser avec elle, de faire les câlins qu’elle me demandait avec une vraie présence et une intention totalement tournée vers elle, j’ai pu comblé son besoin de tendresse (et le mien) et mon besoin de calme. »
Une fois que l’on a gouté à cette façon de donner et de recevoir une écoute empathique, on a très envie de la pratiquer au quotidien, même si ce n’est pas toujours facile surtout avec les personnes qui nous sont le plus proches.
Notez que la CNV se pratique même avec des personnes qui ne connaissent pas du tout la technique. Il suffit alors de prendre le temps de les écouter sincèrement avant d’exposer vos propres émotions et besoins.
Et vous, pratiquez-vous l’écoute active et la communication non-violente ? Avez-vous l’impression que cet outil pourrait-vous être utile dans votre quotidien ?
Ma semaine à la Ferme des enfants (Premier épisode): la bienveillance éducative
La bienveillance
Un des premiers thèmes abordés pendant la formation était la violence éducative ordinaire, notion dont j’avais déjà entendu parler lors de la conférence de Sophie Rabhi en septembre 2016 au Congrès de l’Écologie de l’Enfance. Il s’agit d’un concept décrit en 1984 par Alice Miller dans son livre « C’est pour ton bien » (voir lien plus bas) et qui désigne l’ensemble des violences physiques, verbales ou psychologiques qui portent atteinte à l’intégrité de l’enfant soit en le faisant souffrir immédiatement (par exemple une fessée) soit en modifiant/perturbant son développement et notamment son estime de soi. Alice Miller a montré que de nombreuses violences dans l’histoire ont été perpétrées par des personnes ayant subies de lourdes violences éducatives dans leur enfance. Elle explique que l’on a tendance à répéter ce que l’on a vécu soi-même et donc que le seul moyen de limiter la violence de notre monde est de supprimer les violences éducatives ordinaires de notre palette éducative de parent. Ce terme englobe une très grande variété d’actions (par exemples des punitions, du chantage, des manipulations) que la plupart des parents et éducateurs emploient régulièrement avec les enfants sans y voir de mal et tout en étant très bien intentionnés. Il s‘agit aussi parfois de refuser de l’affection à un enfant (par exemple un câlin) par manque de temps, pour le punir ou par peur qu’il devienne « capricieux ». Une éducation exempte de toute violence éducative est difficile à mettre en place, surtout lorsque soi-même on a reçu ce genre de brimades, même mineures. Je vous décris plus bas quelques clés pour s’engager sur la voie de la parentalité positive et bienveillante.
Son livre que je vous conseille :
Le second thème abordé lors de la formation était celui de la théorie de l’attachement.
Quatre types de lien d’attachement ont été mis en évidence notamment par les expériences de Mary Ainsworth (publiées en 1967) lors desquelles des enfants de 18 mois et leurs parents (appelés figures d’attachement ou « caregivers ») étaient observés lors de situations de séparations/retrouvailles. Ces liens d’attachement ont été caractérisés par le comportement de l’enfant lors de ses situations (enfant plus ou moins sécurisé avec les inconnus, plus ou moins collé à son parent lors de la séparation ou des retrouvailles) et mis en lien avec les habitudes parentales (par exemples parents faisant preuve de réponses rapides aux besoins de l’enfant ou plus aléatoires). Voici donc les 4 types de liens d’attachement généralement décrits dans la littérature :
Kangourou (lien d’attachement sécure) :
- le parent répond de manière rapide et appropriée aux appels de l’enfant. Il est cohérent, attentif, empathique. Il est sensible aux signaux de détresse de l’enfant.
- l’enfant est sécurisé, recherche le contact avec sa figure d’attachement (parent ou caregiver), sans pour autant être perturbé par la séparation car il va trouver du réconfort auprès de la personne qui sera auprès de lui. Il a toutefois une nette préférence pour sa figure d’attachement qui constitue sa base de sécurité.
Tortue (lien d’attachement insécure évitant):
- le parent s’implique peu dans la relation d’attachement. Il incite l’enfant à se débrouiller seul, décourage ses pleurs et nie ses sentiments.
- l’enfant ne compte pas sur son parent pour le réconforter. Il évite le contact avec son parent lorsqu’ils se retrouvent après une séparation. Il montre peu de détresse lors d’une séparation, l’évitement du contact physique est sous-tendu par une certaine colère plus que par de l’indifférence.
Hérisson (lien d’attachement insécure désorganisé) :
- le parent, focalisé sur lui-même et ses émotions, va avoir des comportements de rejet, d’agressivité et d’abandon. Il n’a pas les ressources pour faire preuve d’empathie.
- l’enfant, lorsqu’il retrouve son parent après une séparation, se fige dans une posture évoquant l’appréhension, la confusion, voire la dépression. Il présente des comportements désorganisés et contradictoires tels qu’approcher le dos en avant.
Le singe (lien d’attachement ambivalent-résistant ou anxieux-résistant):
- le parent répond de manière aléatoire aux besoins de l’enfant. Il passe d’un état à l’autre (réponses appropriées versus négligentes) et présente une disponibilité variable en qualité comme en quantité. Il est imprévisible.
- l’enfant n’est pas capable d’utiliser son parent ou caregiver comme base de sécurité. Il recherche la proximité avant que la séparation ne survienne. Il est très malheureux lorsque le parent est absent mais ne veut pas de contact quand il revient. L’enfant fait preuve d’une certaine ambivalence. L’enfant résiste à être pris dans les bras par son caregiver mais également se met en colère et proteste s’il est posé. Il est préoccupé par la disponibilité du caregiver.
Au-delà des réactions observables lors d’une séparation, la nature de ce lien d’attachement a des conséquences profondes sur le comportement social et le développement émotionnel de l’enfant, bien après sa petite enfance. De multiples études ont maintenant établi que le développement affectif équilibré d’un enfant passe par un comportement affectif soutenant, cohérent et constant. Catherine Gueguen et Isabelle Fillioza ont montré les conséquences néfastes des comportements créant un lien d’attachement insécure (par exemple laisser pleurer un enfant pour qu’il apprenne à se réconforter seul) sur le développement du cerveau de l’enfant.
Voici le livre de Catherine Guéguen que je vous conseille vivement :
La plupart des parents se sentent désemparés et mal outillés pour faire face aux comportements parfois inadéquats de leurs enfants. Il peut alors être utile de se former à la « parentalité positive » afin de pouvoir en tout temps (ce qui est très dur) faire preuve de bienveillance et d’empathie. Ce type de changement de posture demande beaucoup d’ajustements et de patience. Il faut prendre le temps d’acquérir et de tester dans la durée les nouveaux outils de communication avant de juger de l’efficacité de cette nouvelle relation parent-enfant.
Pour faciliter cette transition, la Communication Non-Violente (CNV) est un outil de choix. Il s’agit là de la découverte la plus marquante que j’ai faite pendant cette formation.
Je vous décris ce formidable outil dans le deuxième épisode de cette série d’articles (à venir très bientôt).
Pour ma part, le défi est d’abandonner mes réflexes de maman singe pour devenir une supère maman kangourou. Quelles difficultés je peux avoir à rester calme et empathique en toute circonstance ! Je vois pourtant de manière très claire l’impact que mon comportement a sur ma fille. Mes hésitations sur l’attitude à tenir, mes tergiversations sur plus ou moins de limites, de « non », voire de punitions, mes efforts (quand j’ai eu une nuit correcte) pour faire preuve d’une totale écoute active bienveillante malgré les cris et les pleurs me placent d’emblée dans la catégorie des mamans singes au comportement incohérent et imprévisible.
Je vous livre ici, les étapes qui me semblent nécessaires pour faire ce chemin vers le « kangourou »: 1) prendre conscience de notre responsabilité dans les comportements de nos enfants qui nous « agacent » et nous semblent irrationnels, 2) se documenter sur la théorie de l’attachement, 3) s’outiller pour pouvoir mieux réagir au quotidien (notamment en regardant les vidéos ou en lisant les livres d’Isabelle Filliozat), 4) faire le point sur les sources de stress, qui dans notre vie, nous empêchent de répondre de manière appropriée à notre enfant, 5) être bienveillant envers soi-même et ainsi se constituer des ressources nous permettant d’être bienveillant envers les autres et pour cela se former à la CNV !!!
Autres lectures intéressantes :
Ma semaine à la Ferme des Enfants (Introduction)
Un cerveau qui apprend est un cerveau qui se trompe
Je pense qu’une des raisons pour lesquelles l’école est aujourd’hui si peu adaptée à nos réalités vient d’une méconnaissance des bases neurobiologiques de l’apprentissage. Il n’y a rien d’étonnant à cela car peu de chercheurs se sentent légitimes pour dialoguer avec les pédagogues et il n’est pas toujours évident de bien vulgariser les dernières découvertes. La situation semble heureusement s’améliorer et la science se met de plus en plus au service des parents et des éducateurs.
Alors que faut-il savoir sur l’apprentissage ? Dans les 15 dernières années, de grandes avancées ont été réalisées notamment grâce aux découvertes sur l’intelligence artificielle qui nous ont permis de comprendre comment fonctionne notre cerveau. Une des théories les plus convaincantes et des plus acceptées est celle du cerveau Bayésien. Selon cette théorie, en tout temps, notre cerveau (ou système interne) fait une série de calculs de probabilité pour prédire ce qui a le plus de chances de se passer. Il peut ainsi « apprendre » comment fonctionne notre environnement et quelles sont les règles qui le régissent. De nombreuses expériences ont confirmé cette hypothèse, et ont permis de décrire un processus d’apprentissage en 3 étapes :
- Pour apprendre, face à une situation particulière, le cerveau va d’abord faire une prédiction.
- Il compare ensuite ses prédictions à la réalité. Cette comparaison génère un signal d’erreur ou de surprise.
- Le signal d’erreur est intégré. Il va modifier le cerveau en lui permettant de s’ajuster, en d’autres termes de « retenir » la leçon.
Le but ultime du cerveau-système est de réduire cette erreur afin de se rapprocher davantage de la réalité lors de la prédiction suivante. Ceci se fait par une série de répétitions de type essai-erreur. Chaque erreur permet au cerveau d’affiner sa prochaine prédiction et donc d’apprendre.
Quand le cerveau arrive à prédire parfaitement une situation, (l’erreur est nulle), il n’y a plus rien à apprendre, il va s’intéresser à une autre situation.
Des expériences ont montré que ce processus existe même chez les très jeunes enfants. Ils font en permanence des prédictions et des essais-erreurs afin de comprendre leur environnement.
J’ai déjà observé ce type de processus chez ma fille, notamment dans le bain lorsqu’elle essayait de comprendre pourquoi certains objets flottent alors que d’autres coulent (aka la poussée d’Archimède). Elle fait ici une série d’essais avec une grosse balle légère et une petite balle lourde. Comme il n’y a rien de mieux qu’une image pour bien comprendre une idée, j’ai demandé à Mia, graphiste et illustratrice de talent (dont je vous conseille le site) de bien vouloir mettre en images cette petite expérience :
- Étape 1 : La prédiction
La voici qui fait la prédiction que cette balle rouge va couler.
-
Étape 2 : La comparaison
Elle lâche la balle, qui flotte. Son cerveau compare le résultat « la balle flotte » à sa prédiction « la balle devait couler » et émet un signal d’erreur.
-
Étape 3 : intégration du signal d’erreur
Le signal d’erreur est interprété par le cerveau en terme d’apprentissage, de règle à généraliser et ceci de manière implicite.
« Je me suis trompée, une balle en plastique de ce type ne coule pas, je vais essayer d’améliorer ma prédiction la prochaine fois. »
Les 3 mêmes étapes peuvent donc être répétées avec une autre balle.
-
Étape 1 (à nouveau) : Nouvelle prédiction
Elle fait donc une nouvelle prédiction.
-
Étapes 2 et 3 (à nouveau) : Comparaison et intégration du nouveau signal d’erreur
Puis la prédiction est confrontée à la réalité et le signal d’erreur est intégré pour tirer une règle généralisable, un apprentissage.
Grâce à ce modèle, les neurosciences ont montré deux points importants qui pourraient particulièrement intéresser les pédagogues:
- S’il n’y a pas d’erreurs, il n’y a rien à réduire, IL N’Y A PAS D’APPRENTISSAGE (zone bleue du graphique ci-dessous).
Ainsi quand vous récitez l’alphabet à votre enfant, vous ne faites aucune erreur, votre prédiction (ce que vous récitez) correspond parfaitement à la réalité (l’alphabet), vous n’apprenez rien car vous le connaissez déjà.
- Si l’erreur de prédiction commise est trop grande et trop difficile à corriger car on essaie d’apprendre quelque chose qui est bien au-delà de nos capacités, il sera très difficile de réduire cette erreur, il y aura donc un apprentissage minimal ou pas d’apprentissage du tout (zone rouge du graphique ci-dessous).
Donc essayer d’enseigner les équations du second degré à un enfant qui ne sait pas compter se soldera par un échec.
Pour apprendre, il faut donc relever des défis tout juste au-dessus de ce que l’on sait faire (zone verte du graphique ci-dessous).
D’après ce modèle, on voit se dessiner les conditions idéales pour un apprentissage optimal :
- Il est essentiel d’adapter et de personnaliser les apprentissages au niveau de chaque enfant. Demander à tous les enfants de suivre un même programme, à la même vitesse est tout simplement CONTRE NATURE.
- L’individu doit être capable de détecter son erreur pour ajuster son modèle interne (ses connaissances). Il faut donc se placer dans des situations où les erreurs sont autorisées (idéalement sans se sentir jugé) et où on est capable de les identifier facilement, de manière autonome et immédiate.
Hors comment évalue-t-on l’apprentissage à l’école ? Les enfants répondent à des questions et reçoivent une note globale pour l’ensemble du devoir quelques jours plus tard.
Il parait évident que ce système de notation globale et différé n’est pas adapté au système d’apprentissage Bayésien de notre cerveau.
Non seulement on n’est pas encouragé à identifier de manière autonome et immédiate nos erreurs mais en plus on reçoit une note globale ultérieurement. Recevoir cette note ne peut en aucun cas permettre à l’apprentissage de se faire. Notre système interne n’en retira rien si ce n’est un sentiment d’incompétence, d’échec et d’injustice. Là encore, cette façon de mettre un délai entre la prédiction et la comparaison avec la réalité (=bonne réponse) est CONTRE NATURE. Il est aussi contre-productif car le niveau de difficulté des interrogations augmente de semaines en semaines. Ainsi un élève qui fait des efforts et réduit ses erreurs sur un même exercice ne verra pas forcément ses notes augmenter car le niveau de difficulté des contrôles croit trop rapidement. Comme il n’a pas la possibilité de refaire son contrôle, il se sentira toujours en situation d’échec et son apprentissage sera entravé.
Pour favoriser l’apprentissage, il faut impérativement que l’enfant soit capable de s’auto-corriger de manière précise, immédiatement, et sans jugement. Il doit être capable de suivre ses progrès en répétant autant que nécessaire une même évaluation, sans que le niveau de difficulté n’augmente.
Maria Montessori l’a très bien compris (des décennies avant ces découvertes) en concevant un matériel qui permet à l’enfant de voir immédiatement son erreur et de se corriger. Les enfants sont encouragés à reproduire plusieurs fois les mêmes actions afin de voir leurs progrès.
Je finirai en disant un mot sur les effets néfastes du « jugement » et de la punition. Si on blâme un enfant dès qu’il commet la moindre erreur et que l’on valorise le résultat final sans faute plutôt que l’effort réalisé, sa motivation à apprendre sera inhibée. Son système interne va tout simplement privilégier les situations où le risque d’erreur est nul. Il n’y aura plus de challenge, plus de prédiction, plus d’apprentissage. Hors le cerveau est naturellement doté d’un système de récompense interne. À chaque fois que l’erreur diminue, le système dopaminergique (des récompenses) est activé. Il s’agit du système activé lorsque l’on prend du plaisir et que l’on vit une expérience positive. Il permet ainsi au cerveau de renforcer l’apprentissage qui a abouti à cette récompense. La motivation à diminuer l’erreur est donc déjà codée intrinsèquement dans notre cerveau. Il n’est pas nécessaire de venir modifier de fragiles équilibres, en ajoutant des conditionnements négatifs (punitions, remontrances) qui, en augmentant le stress, vont au contraire nuire aux apprentissages.
Alors n’oublions pas de laisser à nos enfants (et à nous même) le droit à l’erreur. Il est important de leur faire confiance, de les laisser répéter leurs expériences autant de fois qu’ils le veulent. Ainsi, la célèbre citation de Socrate « La chute n’est pas un échec. L’échec c’est de rester là où on est tombé » s’avère confirmée par les neurosciences.
Entretien avec Anne Mergault, l’une des co-fondatrices d’E.L.A.N.
Voici un résumé de l’entretien avec Anne Mergault, l’une des co-fondatrices de l’Espace Libre d’Apprentissages Naturels (E.L.A.N.), un centre d’apprentissage libre pour les enfants et adolescents faisant l’expérience de l’éducation à domicile et qui ouvrira très prochainement dans la région de Bromont.
Pour plus d’informations sur ce lieu, vous pouvez consulter l’article associé et leur page facebook.
Comment est venue l’idée de créer un Centre d’apprentissage libre ?
L’idée a germé il y a environ 1 an et demi – 2 ans dans la tête de Kathleen (l’une des fondatrices du projet) qui a vu sa fille souffrir du manque de jeu à l’école. Elle s’est alors renseignée sur les écoles démocratiques aux États-Unis et elle a eu la vision de créer un centre d’apprentissage libre. Elle a rencontré d’autres mères inspirées par le projet lors de la conférence pour l’écologie de l’enfance qui a eu lieu à Montréal en septembre de l’année passée. Ça a été le déclic. Anne s’est officiellement joint au projet en décembre, rêvant de proposer à son fils un tel environnement depuis plusieurs années. Elle a, depuis, quitté l’emploi qu’elle occupait à temps partiel pour se consacrer au projet E.L.A.N. et elle accompagne son fils de 5 ans ½ dans ses apprentissages et dans son évolution.
Quelles démarches les fondateurs d’E.L.A.N. ont-ils réalisées jusqu’à présent et quels sont les défis qui les attendent?
Les membres d’E.L.A.N. ont décidé de créer un Organisme à But Non Lucratif (OBNL) afin d’obtenir un statut officiel et de faciliter les démarches nécessaires à l’aboutissement du projet. Ils reçoivent ainsi l’aide du Centre Local de Développement (CLD) afin d’écrire leur plan d’affaires et profitent de l’expertise de Lawrence, le conjoint d’Anne, qui a beaucoup d’expérience dans la mise en place et la gestion d’OBNL. Leur plan d’affaires sera finalisé sous peu et leur site internet est en construction.
Côté financement trois pistes sont envisagées pour faciliter le démarrage du projet :
– solliciter des fondations privées, notamment celles qui s’intéressent à l’éducation et au sort réservé aux personnes âgées,
– faire appel aux organismes communautaires locaux, notamment pour réunir l’équipement et le matériel nécessaire pour l’ouverture du centre,
– et mener une campagne de levée de fonds sociale.
Le projet s’inscrit parfaitement dans l’économie sociale car, en plus de créer des emplois, il a pour but d’intégrer les ainés dans la vie du centre. Il s’agit d’un point qui leur tient particulièrement à cœur. E.L.A.N. veut faire la part belle aux personnes âgées qui ont tant d’expérience à transmettre aux plus jeunes. Les ainés sont très patients avec les enfants qui le leur rendent bien. Les membres d’E.L.A.N. ont vraiment envie de chercher à valoriser les talents locaux chez les ainés.
La première réunion d’information et de pré-inscription a permis de démontrer que ce projet répond à un réel besoin des familles de la région.
Le plus gros défi reste à trouver le lieu idéal qui accueillera le projet. Il restera ensuite à constituer un groupe « d’apprenautes » d’âges divers. Des parents ont déjà pré-inscrits leurs jeunes enfants. Il reste notamment des places pour des jeunes adolescents.
Quel sera le rôle des adultes dans ce Centre et comment l’autonomie des enfants sera-t-elle favorisée?
Les facilitateurs seront là pour accompagner les enfants et les inviter à demander de l’aide quand ils en ont besoin. Si un enfant manifeste le désir d’apprendre quelque chose de particulier, le matériel nécessaire sera mis à sa disposition et des ressources compétentes seront mobilisées. Les membres d’E.L.A.N. ont déjà une base de données de bénévoles qui ont une compétence particulière (notamment deux enseignantes expérimentées, dont une ancienne directrice d’une école démocratique aux États-Unis) qui pourraient venir au centre, répondre au besoin des enfants. Si les enfants manifestent le besoin d’avoir un nouvel équipement qui coute beaucoup d’argent (comme un module de jeu extérieur), les facilitateurs vont les accompagner et les encourager à poser des gestes concrets, à trouver des solutions par eux-mêmes afin de les responsabiliser. Ils pourront par exemple vendre des légumes récoltés sur place ou des plats qu’ils auront préparés au sein du centre. Cependant, les facilitateurs sont aussi là pour aider les enfants qui sont bloqués, ne savent pas « quoi » ou « comment » demander. Ils s’adapteront donc aux besoins de chacun afin que tous puissent identifier et suivre leurs centres d’intérêt. Les facilitateurs seront donc présents pour soutenir les apprentissages des enfants permettant du même coup de remplir leur réservoir d’affection en se faisant pleinement disponibles et accueillants. Une fois que les enfants seront habitués au fonctionnement du centre, ils pourraient mettre en place des cercles d’intention. Il s’agit d’un moment d’échanges lors duquel chacun peut définir ce qu’il compte faire de sa journée. Ce type de discussion aide en général les enfants à mieux cerner leurs objectifs.
Comment voyez-vous E.L.A.N. dans 5 ans ?
N’hésitons pas à rêver grand ! E.L.A.N. sera situé dans une très très grande maison saine, une maison construite avec des matériaux écologiques (en chanvre par exemple), pleine de grandes fenêtres, avec du solaire passif, de grandes pièces aérées, baignées par la lumière naturelle. Il s’agira d’un lieu esthétique, agréable à vivre où tout le monde se sentira bien. À l’extérieur, on trouvera un jardin en permaculture, une forêt nourricière et une forêt d’arbres matures que les jeunes pourront explorer, où ils pourront faire des cabanes et monter dans les arbres autant qu’ils le souhaitent. On trouvera également une rivière dans laquelle on pourra se baigner l’été, une yourte ou un tipi et pourquoi pas des animaux. Il y aura également un atelier de menuiserie, beaucoup d’espace pour faire des activités sportives : du vélo, jouer au soccer, au basket, une rampe de skateboard, un trampoline, etc.
À l’intérieur on trouvera une très grande bibliothèque, un labo de sciences, une grande pièce pour faire de la danse, du yoga, de l’aïkido, des arts du cirque etc, une pièce pour les arts (dessin, poterie, peinture, couture…), une pièce pour la musique, une autre pour les écrans et une grande cuisine dans laquelle on pourra cuisiner les légumes et fruits du jardin. Le centre sera en constante évolution, au gré des intérêts et passions de ses membres.
Il s’agira d’une vraie ruche de partage de savoir-être, de connaissances et de compétences, où chacun pourra s’épanouir et cultiver ce qui le rend heureux.
Il ne reste plus qu’à espérer que ce lieu de rêve alliant apprentissages naturels et environnement riche et stimulant verra le jour très prochainement !