Et si l’école du 21ème siècle était une école apprenante ?

Et si l’école du 21ème siècle était une école apprenante ?

Des écoles où le savoir se crée en plus de se transmettre…

Des écoles où tout le monde apprend : les enfants bien sûr mais également les enseignants, les chercheurs et les parents…

Des écoles encourageant la collaboration de manière concrète : tout le monde y travaillerait ensemble pour expérimenter de nouvelles façons d’apprendre et d’enseigner, de co-créer du savoir….

Des écoles innovantes formant les futurs citoyens de la société apprenante de demain (1): des enfants éveillés, curieux, tolérants, ouverts sur le monde, ayant pu aiguiser leur esprit critique, ayant pris connaissance des défis à venir, ayant développé une conscience écologique, ayant eu la possibilité de créer, d’expérimenter et d’entreprendre et dont la confiance en soi aurait été renforcée.

Voici ce qui est proposé dans le concept des lab schools, que je traduis au Québec par « écoles apprenantes » (2). Ce qui est paradoxal, c’est que ce type d’école « moderne » qui me semble si adapté à la société d’aujourd’hui  et si nécessaire pour aller vers la société demain, a été créé il y a plus d’un siècle.

Qu’est-ce qu’une lab school ou école apprenante?

Les lab schools sont des écoles primaires (le plus souvent) qui ont trois vocations principales :

  1. Éduquer, en proposant des pédagogies innovantes basées sur les dernières recherches en sciences cognitives, neurosciences, sciences de l’éducation, psychologie,  etc.
  2. Ces écoles servent également de lieu d’expérimentation pour les chercheurs et les enseignants. Des études scientifiques y sont régulièrement menées avec l’accord des enfants et de leurs parents. On y étudie l’impact de certaines approches pédagogiques afin de déterminer les conditions optimales pour leur mise en oeuvre efficace. Ce type de recherche intégrée à la pratique enseignante permet d’éviter de prescrire une solution « miracle » qui fonctionnerait pour tous. Elle vise bien au contraire à proposer un éventail de possibilités que les enseignants pourront adapter en fonction de leur réalité.
  3. Il s’agit enfin de lieux de formation pour les futurs enseignants et pour les enseignants qui ont déjà des classes et qui veulent faire de la formation continue. Les formations se font lors de stages d’immersion, d’observation ou d’ateliers thématiques.

Dans la majorité des cas, ces écoles sont affiliées à une université. Mais depuis quelques années, on voit apparaitre des écoles indépendantes.


À NE PAS CONFONDRE AVEC LE LAB-ÉCOLE

Vous l’aurez sans doute compris, ce dont je parle ici n’a aucun rapport avec le projet de Lab-école de Ricardo Larrivée, Pierre Lavoie et Pierre Thibault. Ceux-ci ont lancé trois chantiers visant à moderniser les infrastructures, et améliorer l’alimentation offerte dans les écoles mais ils ne s’intéressent pas du tout à la « rénovation » de la pédagogie et n’ont aucun lien avec la recherche en éducation.


Un modèle créé il y a plus d’un siècle pour révolutionner l’école

Fidèle à la philosophie de l’éducation nouvelle, les lab schools mettent l‘enfant au coeur du système éducatif. On y propose des méthodes et des stratégies éducatives diversifiées. L’enseignement peut donc être adapté à chaque enfant, dont l’unicité est respectée. Ce sont des lieux de vie, où le rythme de chaque enfant est respecté. Fonder une lab school permet  d’une part de créer un lieu qui va tout de suite « aider» les enfants  qui vont le fréquenter ; et d’autre part de dialoguer avec le système en documentant ce qui s’y fait, en apportant des données scientifiques qui permettent de discuter avec les décideurs et surtout d’informer la population des innovations possibles.

Cette idée de révolutionner l’école grâce aux labs schools n’est pas nouvelle et était notamment celle de John Dewey qui a fondé une des premières et des plus influentes lab school à Chicago en 1894, dans une philosophie d’éducation progressiste. Son programme ne reposait non pas sur les livres et les récitations mais était centré sur les enfants à l’aide d’activités guidées par leurs intérêts. Il s’agissait du « learning by doing« , « apprendre en faisant ». Les enfants apprenaient en se heurtant à des problèmes pratiques , de la vraie vie QUI FAISAIENT DU SENS POUR EUX qu’ils rencontraient lors d’activités de loisirs (telles que ébénisterie, jardinage, couture, cuisine, etc).

Les lab schools sont aujourd’hui des lieux où l’on peu tester, de manière structurée, des innovations pédagogiques et ainsi répondre à de nombreuses questions laissées en suspens par les études effectuées en laboratoire. Elles permettent ainsi de confronter les théories à la réalité du terrain. Les enseignants peuvent prendre une part active tant dans la définition des questions de recherche que dans leur mise en oeuvre.  Ainsi, les lab schools sont des outils essentiels à la transition éducative vers une « nouvelle école » bienveillante et innovante qui respecterait la nature de l’enfant et abandonnerait les méthodes pédagogiques artificielles, dogmatiques et non fondées sur les preuves.

Afin de faciliter cette transition, les lab schools, en plus de réaliser des publications scientifiques, mènent beaucoup d’actions de communication (vidéos, articles de blog, conférences, etc) visant à informer le grand public de ce qui se passe dans ces écoles. Un de leurs objectifs est la dissémination, dans le réseau scolaire régulier, des innovations et des résultats de la recherche.

Quelques exemples de labs schools 

Il existerait aujourd’hui plus d’une centaine de lab schools dans le monde, mais il n’y en a aucune au Québec à ce jour (3) La majorité de ces écoles sont situées en Amérique du Nord (on y trouve par exemple les très inspirantes  UCLA lab school ; et Khan lab school ).  Au Canada, c’est principalement en Ontario que l’on trouve les labs schools. Il en existe au moins 3 à Toronto, dont la lab school du Jackman Institute of Child study qui est une des plus anciennes. Pour en apprendre davantage sur cette école et les labs schools en général, je vous invite à visionner le film documentaire The possible school.

Les valeurs promues par les trois écoles citées ici ont inspiré, entre autres, la création de la Lab School Paris qui a ouvert en septembre 2017, à Paris.

 Un modèle très inspirant : la Lab School Paris

La lab School Paris est un projet porté par Pascale Haag, enseignante, chercheuse en sciences sociales et en psychologie. Voyant que la mise en place d’un partenariat avec une université ou l’Éducation Nationale allait considérablement retarder le projet, les fondateurs de l’école ont décidé de partir sur un projet-pilote en créant une école privée indépendante. Au lieu d’être affiliée à un établissement d’enseignement, l’école est reliée à un réseau de chercheurs et d’enseignants: le Lab school Network.

Je trouve cette démarche pro-active et novatrice vraiment très inspirante. C’est un modèle que j’aimerais importé ici au Québec et je tenais donc à vous présenter cette école plus en détails.

L’école accueille pour l’instant 30 enfants de la 2ème à 4ème année, mais des places vont être progressivement ouvertes pour les autres niveaux jusqu’à la 6ème année. Elle est le fruit de deux ans de travail de co-création en partenariat des enseignants, des artistes, des créateurs ainsi que des chercheurs, au sein du Lab school Network.

Dans cette école, ouverte sur le monde, les enfants sont en contact avec des chercheurs, des artistes, des professionnels et des entrepreneurs de différents horizons. Ils échangent régulièrement par visio-conférence avec d’autres lab schools dans le monde.

@ Lab School Paris

C’est une école bilingue (français- anglais) qui a à cœur de garantir une grande mixité sociale et culturelle grâce à des bourses financées par des fondations ou du socio-financement.

 

 

Le bien-être de tous (enfants et enseignants) est valorisé avec une emphase sur le développement des compétences socio-émotionnelles (soft skills). Ce concept, dont l’importance est grandissante tant à l’école que dans notre société, englobe notamment la confiance en soi, la créativité, la motivation, l’empathie, etc. Différentes techniques de régulation émotionnelle (yoga, méditation, etc.) y sont proposées ainsi que des ateliers sur les émotions inspirés de la communication non-violente. La bienveillance y est à la base de toutes les approches pédagogiques. Le but est que les enfants retrouvent confiance en eux, prennent du plaisir à aller à l’école et s’y sentent en sécurité.

Résumé de la pédagogie et de l’organisation de la Lab School Paris.

Pour ceux intéressés à en apprendre davantage sur cette école innovante, vous pouvez  visionner ce petit film  :

De mon coté, j’ai à coeur d’importer ce modèle au Québec, mais je vous en reparlerai plus tard ….

Est-ce que, comme moi, ce type d’école vous inspire ?

N’hésitez pas à partager vos impressions sur le sujet et vos aspirations  !

 


Notes :

(1) Pour plus de détails sur le concept de « société apprenante » proposé par le très inspirant François Taddei,  je vous conseille de lire cet article et le rapport qui y est cité.

(2) Dans la suite du texte, j’utiliserai le terme « lab school » pour les écoles déjà existantes afin de respecter le modèle auquel elles s’identifient. Comme dans le contexte québécois, le terme « lab school » peut difficilement être traduit par « Écoles laboratoires », et que le concept n’y est pas encore développé, j’utiliserai le terme « école apprenante »  pour désigner les écoles de ce type pouvant être fondées au Québec.

(3) Un premier pas semble avoir été fait car une « école universitaire au primaire » a ouvert en septembre dernier 2017 à Terrebonne. Elle vise à appliquer certaines pédagogies innovantes validées par la recherche et à  favoriser le dialogue avec la recherche universitaire en éducation.

Un cerveau qui apprend est un cerveau qui se trompe

Je pense qu’une des raisons pour lesquelles l’école est aujourd’hui si peu adaptée à nos réalités vient d’une méconnaissance des bases neurobiologiques de l’apprentissage. Il n’y a rien d’étonnant à cela car peu de chercheurs se sentent légitimes pour dialoguer avec les pédagogues et il n’est pas toujours évident de bien vulgariser les dernières découvertes. La situation semble heureusement s’améliorer et la science se met de plus en plus au service des parents et des éducateurs.

Alors que faut-il savoir sur l’apprentissage ? Dans les 15 dernières années, de grandes avancées ont été réalisées notamment grâce aux découvertes sur l’intelligence artificielle qui nous ont permis de comprendre comment fonctionne notre cerveau. Une des théories les plus convaincantes et des plus acceptées est celle du cerveau Bayésien. Selon cette théorie,  en tout temps, notre cerveau (ou système interne) fait une série de calculs de probabilité pour prédire ce qui a le plus de chances de se passer. Il peut ainsi « apprendre » comment fonctionne notre environnement et quelles sont les règles qui le régissent. De nombreuses expériences ont confirmé cette hypothèse, et ont permis de décrire un processus d’apprentissage en 3 étapes :

  1. Pour apprendre, face à une situation particulière, le cerveau va d’abord faire une prédiction.
  2. Il compare ensuite ses prédictions à la réalité. Cette comparaison génère un signal d’erreur ou de surprise.
  3. Le signal d’erreur est intégré. Il va modifier le cerveau en lui permettant de s’ajuster, en d’autres termes de « retenir » la leçon.

Le but ultime du cerveau-système est de réduire cette erreur afin de se rapprocher davantage de la réalité lors de la prédiction suivante. Ceci se fait par une série de répétitions de type essai-erreur. Chaque erreur permet au cerveau d’affiner sa prochaine prédiction et donc d’apprendre.

Quand le cerveau arrive à prédire parfaitement une situation, (l’erreur est nulle), il n’y a plus rien à apprendre, il va s’intéresser à une autre situation.

Des expériences ont montré que ce processus existe même chez les très jeunes enfants. Ils font en permanence des prédictions et des essais-erreurs afin de comprendre leur environnement.

J’ai déjà observé ce type de processus chez ma fille, notamment dans le bain lorsqu’elle essayait de comprendre pourquoi certains objets flottent alors que d’autres coulent (aka la poussée d’Archimède). Elle fait ici une série d’essais avec une grosse balle légère et une petite balle lourde. Comme il n’y a rien de mieux qu’une image pour bien comprendre une idée, j’ai demandé à Mia, graphiste et illustratrice de talent (dont je vous conseille  le site) de bien vouloir mettre en images cette petite expérience :

  • Étape 1 : La prédiction

 

 

 

La voici qui fait la prédiction que cette balle rouge va couler.

 

  • Étape 2 : La comparaison

 

Elle lâche la balle, qui flotte. Son cerveau compare le résultat « la balle flotte » à sa prédiction « la balle devait couler » et émet un signal d’erreur.

 

  • Étape 3 : intégration du signal d’erreur

    Le signal d’erreur est interprété par le cerveau en terme d’apprentissage, de règle à généraliser et ceci de manière implicite.

    « Je me suis trompée, une balle en plastique de ce type ne coule pas, je vais essayer d’améliorer ma prédiction la prochaine fois. »

Les 3 mêmes étapes peuvent donc être répétées avec une autre balle.

 

  • Étape 1 (à nouveau) : Nouvelle prédiction

Elle fait donc une nouvelle prédiction.

 

  • Étapes 2 et 3 (à nouveau) : Comparaison et intégration du nouveau signal d’erreur

Puis la prédiction est confrontée à la réalité et le signal d’erreur est intégré pour tirer une règle généralisable, un apprentissage.

 

Grâce à ce modèle, les neurosciences ont montré deux points importants qui pourraient particulièrement intéresser les pédagogues:

  • S’il n’y a pas d’erreurs, il n’y a rien à réduire, IL N’Y A PAS D’APPRENTISSAGE (zone bleue du graphique ci-dessous).

Ainsi quand vous récitez l’alphabet à votre enfant, vous ne faites aucune erreur, votre prédiction (ce que vous récitez) correspond parfaitement à la réalité (l’alphabet), vous n’apprenez rien car vous le connaissez déjà.

  • Si l’erreur de prédiction commise est trop grande et trop difficile à corriger car on essaie d’apprendre quelque chose qui est bien au-delà de nos capacités, il sera très difficile de réduire cette erreur, il y aura donc un apprentissage minimal ou pas d’apprentissage du tout (zone rouge du graphique ci-dessous).

Donc essayer d’enseigner les équations du second degré à un enfant qui ne sait pas compter se soldera par un échec.

Pour apprendre, il faut donc relever des défis tout juste au-dessus de ce que l’on sait faire (zone verte du graphique ci-dessous).

 

 

 

 

 

 

D’après ce modèle, on voit se dessiner les conditions idéales pour un apprentissage optimal :

  1. Il est essentiel d’adapter et de personnaliser les apprentissages au niveau de chaque enfant. Demander à tous les enfants de suivre un même programme, à la même vitesse est tout simplement CONTRE NATURE.
  2. L’individu doit être capable de détecter son erreur pour ajuster son modèle interne (ses connaissances). Il faut donc se placer dans des situations où les erreurs sont autorisées (idéalement sans se sentir jugé) et où on est capable de les identifier facilement, de manière autonome et immédiate.

Hors comment évalue-t-on l’apprentissage à l’école ? Les enfants répondent à des questions et reçoivent une note globale pour l’ensemble du devoir quelques jours plus tard.

Il parait évident que ce système de notation globale et différé n’est pas adapté au système d’apprentissage Bayésien de notre cerveau.

Non seulement on n’est pas encouragé à identifier de manière autonome et immédiate nos erreurs mais en plus on reçoit une note globale ultérieurement. Recevoir cette note ne peut en aucun cas permettre à l’apprentissage de se faire. Notre système interne n’en retira rien si ce n’est un sentiment d’incompétence, d’échec et d’injustice. Là encore, cette façon de mettre un délai entre la prédiction et la comparaison avec la réalité (=bonne réponse) est CONTRE NATURE. Il est aussi contre-productif car le niveau de difficulté des interrogations augmente de semaines en semaines. Ainsi un élève qui fait des efforts et réduit ses erreurs sur un même exercice ne verra pas forcément ses notes augmenter car le niveau de difficulté des contrôles croit trop rapidement. Comme il n’a pas la possibilité de refaire son contrôle, il se sentira toujours en situation d’échec et son apprentissage sera entravé.

Pour favoriser l’apprentissage, il faut impérativement que l’enfant soit capable de s’auto-corriger de manière précise, immédiatement, et sans jugement. Il doit être capable de suivre ses progrès en répétant autant que nécessaire une même évaluation, sans que le niveau de difficulté n’augmente.

Maria Montessori l’a très bien compris (des décennies avant ces découvertes) en concevant un matériel qui permet à l’enfant de voir immédiatement son erreur et de se corriger. Les enfants sont encouragés à reproduire plusieurs fois les mêmes actions afin de voir leurs progrès.

Je finirai en disant un mot sur les effets néfastes du « jugement » et de la punition. Si on blâme un enfant dès qu’il commet la moindre erreur et que l’on valorise le résultat final sans faute plutôt que l’effort réalisé, sa motivation à apprendre sera inhibée. Son système interne va tout simplement privilégier les situations où le risque d’erreur est nul. Il n’y aura plus de challenge, plus de prédiction, plus d’apprentissage. Hors le cerveau est naturellement doté d’un système de récompense interne. À chaque fois que l’erreur diminue, le système dopaminergique (des récompenses) est activé. Il s’agit du système activé lorsque l’on prend du plaisir et que l’on vit une expérience positive. Il permet ainsi au cerveau de renforcer l’apprentissage qui a abouti à cette récompense. La motivation à diminuer l’erreur est donc déjà codée intrinsèquement dans notre cerveau. Il n’est pas nécessaire de venir modifier de fragiles équilibres, en ajoutant des conditionnements négatifs (punitions, remontrances) qui, en augmentant le stress, vont au contraire nuire aux apprentissages.

Alors n’oublions pas de laisser à nos enfants (et à nous même) le droit à l’erreur. Il est important de leur faire confiance, de les laisser répéter leurs expériences autant de fois qu’ils le veulent. Ainsi, la célèbre citation de Socrate «  La chute n’est pas un échec. L’échec c’est de rester là où on est tombé » s’avère confirmée par les neurosciences. 

« Plus le maitre enseigne, moins l’élève apprend » : quand la science donne raison à Confucius…

Avez-vous déjà ressenti cette impression de perdre votre temps en étant assis à écouter un professeur réciter une leçon abstraite et qui vous semble sans intérêt car tout à fait étrangère à vos préoccupations du moment ?

Vous êtes bien chanceux si tel n’est pas le cas.

Malheureusement, il semble que le monde ait accepté cet ennui profond comme un passage obligé, un rite initiatique.

On se fait dire : « Moi aussi je me suis ennuyé à l’école. C’est normal, tu verras plus tard quand tu pourras choisir tes matières et voir le lien avec ton futur métier, tu trouveras l’école beaucoup plus intéressante. Il faut être patient, pour l’instant tu apprends les fondamentaux, ce fameux socle commun. Alors tais-toi et écoute ! ».

Mais en réalité, on fait fausse route !

Les recherches en neurosciences nous ont montré à maintes reprises, qu’il n’existe aucune raison de repousser indéfiniment le moment où l’enfant va enfin prendre en main son éducation, arrêter d’écouter passivement un professeur mais vraiment devenir acteur de son apprentissage.

Pire, il a été montré que les cours magistraux peuvent avoir des effets néfastes sur l’apprentissage à long terme.

On s’est tout simplement trompé de façon d’apprendre !

Aujourd’hui de nombreuses voix s’élèvent pour passer des modes éducatifs basés sur la tradition à des pédagogies basées sur les preuves scientifiques.

L’échec de la pédagogie magistrale peut être démontré dès le plus jeune âge. Pour étudier la question, des chercheurs (voir article 1) ont mené une expérience visant à évaluer l’effet du mode d’enseignement (plus ou moins magistral) sur la curiosité et les découvertes des enfants. Ils ont créé un jouet complexe, ayant 4 propriétés cachées (faire du bruit, s’illuminer, jouer de la musique, présenter une image en miroir; voir image ci-dessous) .

Afin de voir l’impact du type d’enseignement sur la curiosité des enfants, les chercheurs ont divisé les enfants en 4 groupes, chacun recevant un type de présentation différente. Ces différentes présentations (pédagogie magistrale, condition interrompue, apprentissage accidentel et sans démonstration) sont présentées ci-dessous.

Cette condition représente donc les situations classiques d’enseignement  que l’on rencontre à l’école avec un « sachant » qui va expliquer un domaine dont il est « expert ».

Dans cette condition, l’enseignante commence donc par une pédagogie magistrale (en présentant une seule propriété), mais comme elle n’a pas l’occasion de finir sa démonstration, les enfants peuvent supposer qu’elle n’a pas tout dit sur le sujet et qu’il reste des choses à découvrir.

Dans cette troisième condition, l’enfant n’est pas mis dans une position d’enseignement. Il s’agit plutôt d’une interaction autour d’un objet « trouvé » qui n’appartient pas à l’enseignante et pour lequel elle n’a pas d’expertise particulière. Elle leur montre donc une seule propriété découverte par hasard.

Dans cette quatrième condition, comme dans la précédente, l’enfant n’est pas mis dans « une situation d’enseignement » mais ici aucune des propriétés du jouet ne lui est présentée. Il doit donc faire ses découvertes entièrement par lui-même.

Dans les 4 cas, l’enseignante encourageait ensuite l’enfant à découvrir comment l’objet fonctionne et le laissait explorer le jouet pendant autant de temps qu’il le souhaitait.

Les chercheurs ont alors chronométré le temps passé par les enfants à explorer le jouet, signe de la curiosité et de l’intérêt des enfants pour celui-ci. Ils ont également compté le nombre d’actions réalisées avec le jouet ainsi que le nombre de propriétés découvertes (par exemple, s’ils ont réussi à découvrir comment la musique se mettait en route). Plus ces valeurs sont grandes, plus on considère que l’enfant a fait preuve de curiosité et à essayer de découvrir par lui-même le fonctionnement du jouet.

Figure A

La barre rouge indique que les enfants mis dans la situation « pédagogie magistrale» ou «expert/apprenant» ont moins joué avec le jouet que les autres enfants.

Figure B

La barre rouge indique que les enfants mis dans la situation« pédagogie magistrale» ou «expert/apprenant» ont découvert moins de fonctions que les autres enfants.

Les résultats montrent que les enfants qui sont dans la condition « pédagogie magistrale» ou « expert/apprenant» ont passé moins de temps à explorer le jouet, ont réalisé moins d’actions avec ce jouet (figure A) et ont découvert moins de fonctions (figure B)  que les enfants des 3 autres groupes. En fait, ils ont passé plus de temps à explorer la fonction qui avait été montrée par l’enseignante. Les enfants des trois autres conditions, qui n’ont pas reçu d’enseignement magistral, ont exploré le jouet de manière similaire. Ils ont fait preuve de davantage de curiosité et ont découvert au moins une nouvelle propriété.

Ces résultats suggèrent que l’enseignement de type démonstratif réduit l’exploration et les découvertes des enfants même s’ils sont encouragés à explorer d’autres fonctions.

Les enfants qui n’auront reçu aucune démonstration ou une démonstration partielle vont explorer davantage le jouet et en découvrir ses propriétés.

Cela fait réfléchir n’est-ce- pas ?

Les auteurs, grâce à une expérience complémentaire ont réussi à montrer qu’en fait, lorsque les enfants reçoivent un enseignement d’une enseignante qu’ils perçoivent comme compétente, ils vont se contenter de ce qui aura été montré par l’enseignante sans chercher à découvrir de nouvelles choses. Leur curiosité n’est pas attisée. En revanche si l’enseignante semble ne pas avoir montré toutes ses connaissances (soit par oubli soit par une interruption) les enfants le perçoivent et vont davantage explorer l’objet présenté afin de parfaire leurs découvertes.

Les enfants font donc attention à la nature et la qualité de ce qui enseigné. Les meilleurs résultats sont obtenus non pas quand l’enseignant enseigne de manière exhaustive un sujet mais lorsqu’il n’a pas tout expliqué et que les enfants peuvent découvrir des choses nouvelles.

L’enseignement trop explicite ou trop magistral peut tuer la curiosité.

Mais ce qui est vrai chez l’enfant d’âge préscolaire, peut-il être généralisable chez les jeunes étudiants ?

Une méta-analyse regroupant plus de 200 études (voir article 2) a montré que les étudiants qui sont exposés à des méthodes éducatives actives (ateliers, séance de travail en sous-groupes, travaux pratiques) ont très significativement de meilleures performances et leur taux de réussite aux examens finaux est augmenté de 45 % par rapport aux étudiants qui ne suivent que des cours magistraux. Cet effet de l’apprentissage actif est tel, que dans leur discussion, les auteurs indiquent que si cet effet avait été obtenu dans le cadre d’un essai clinique randomisé, l’étude aurait dû être interrompue à cause des effets trop délétères observés dans le groupe d’étudiants ayant seulement reçu des cours magistraux. Cette étude souligne que cet effet est observé peu importe le type d’éducation active et que cela profite davantage aux jeunes provenant de milieux les moins favorisés.

Les enseignements magistraux ne sont donc pas les mieux adaptés pour favoriser l’apprentissage.

Confucius avait donc raison quand il disait « Plus le maitre enseigne, moins l’élève apprend ». Je trouve fascinant que l’on soit maintenant capable de le prouver de manière scientifique et j’ai hâte que ces informations soient partagées largement auprès des instances décisionnaires et de la communauté éducative en général.

Rien de tel donc pour éteindre la curiosité d’un enfant ou d’un élève que de le mettre face à un enseignant (un « sachant ») qui va transmettre de manière magistrale les informations qui lui semblent importantes.

Au contraire, pour favoriser l’apprentissage, l’enseignant devrait :

  • rendre l’enfant acteur de son éducation,
  • favoriser un environnement qui lui permette de faire des découvertes, qui attise sa curiosité,
  • récompenser systématiquement la curiosité et non la décourager.

Autant de conditions qui sont bien peu souvent réunies dans les écoles actuelles. Mais le vent tourne et de nombreux enseignants prennent conscience de ces nouvelles données et les appliquent de plus en plus dans leurs classes. En tant que parents, on peut également informer les professeurs de notre entourage de l’existence de ces études et les encourager à modifier leurs méthodes.

 

Références

(1) Bonawitz E., Shafto P., Gweon H., Goodman N.D., Spelke E., and Schulz L. The Double-edged Sword of Pedagogy: Instruction limits spontaneous exploration and discovery. Cognition. 2011 September ; 120(3): 322–330

(2) Freemana S., Eddya S. L., McDonougha M.,  Smith M. K., Okoroafora N., Jordta H. and Wenderotha M. P. Active learning increases student performance in science, engineering, and mathematics. PNAS. 2014 June 111 (23) 8410–8415.

Cours de Stanislas Dehaene « L’engagement actif, la curiosité et la correction des erreurs ».

Pourquoi nos enfants ne sont pas « assez » attentifs ? et pourquoi c’est normal…

Une des erreurs les plus courantes des parents ou des personnes en charge de l’éducation des enfants (y compris ceux qui rédigent les « programmes scolaires ») est à la fois de surestimer les capacités cognitives des jeunes enfants en les considérant comme des mini-adultes et de les sous-estimer en les considérant comme des êtres à « remplir » de savoir par toutes sortes de méthodes de « stimulation ».

Ces deux erreurs sont sources de beaucoup d’incompréhension et de souffrance chez les enfants et les parents. Je vous propose aujourd’hui de nous pencher sur notre propension à surestimer les capacités d’attention de nos enfants et je reviendrai prochainement sur l’importance de connaitre la capacité naturelle et phénoménale d’apprentissage des enfants, dès leurs premiers mois de vie.

Commençons donc par l’attention.

Souvent les parents ou les enseignants se plaignent d’enfants qui ne sont pas assez attentifs, qui ne voient pas toutes les informations écrites au tableau, auxquels il faut répéter une même instruction plusieurs fois avant qu’elle ne soit appliquée.

Moi-même, j’ai plusieurs fois été agacée lorsque ma fille, au lieu de faire simplement ce que je lui demande (par exemple s’habiller) prend son t-shirt, le pose sur ses genoux comme pour l’enfiler puis remarque un détail sur le vêtement et commence à en discuter ou alors s’intéresse tout à coup à un objet à proximité.

En tant qu’adulte, j’ai souvent eu du mal à comprendre pourquoi, au lieu de se concentrer 5 minutes sur une tâche aussi simple que l’habillage -pour pouvoir vite aller jouer ou explorer toutes ces autres choses qui attirent son attention- elle fait trainer les choses en s’interrompant toutes les 2 minutes. Cela semble si peu efficient ! Mais penser ainsi c’est oublier que les enfants vivent dans le moment présent et il est très difficile pour eux de concevoir la notion d’efficience ou de se projeter dans le futur. Le présent est une source immense de découvertes pour eux, et ils saisissent chaque opportunité pour remarquer ou apprendre quelque chose. Et ceci est génétiquement codé dans leur nature. Aucune remontrance de parent ne pourra aller contre cette nature car l’évolution (et il y a bien des raisons pour cela) a créé des êtres curieux et non des êtres obéissants au doigt et à l’œil.

Différentes études scientifiques m’ont bien aidée à comprendre que ma fille ne niaise pas pour me faire enrager mais qu’elle a une capacité d’attention limitée et, comme tous les enfants de 4 ans, une très grande propension à se laisser divertir.

En fait, l’attention sélective – qui permet de sélectionner une information pertinente et de se concentrer dessus en essayant d’oublier les autres – siège dans une partie du cerveau que l’on appelle le cortex préfrontal, situé, comme son nom l’indique, derrière notre front. Cette région est très importante, elle est le siège du contrôle attentionnel, de la prise de décision, de l’inhibition et de beaucoup d’autres fonctions telles que la résolution de problèmes. C’est une structure que nous, les adultes, nous utilisons énormément et qui nous permet par exemple de prendre les bonnes décisions dans beaucoup de situations du quotidien.

Malheureusement pour nous parents et éducateurs impatients, cette structure est la dernière à être totalement fonctionnelle et mature chez l’enfant. La maturation de cette région, n’est pleinement atteinte que vers 20 ans. Cela explique de nombreux comportements que l’on observe chez l’enfant et l’adolescent : la prise de risques, la difficulté à gérer ses émotions, à inhiber les comportements non pertinents ou non appréciables ou tout simplement à être « raisonnable ».

 

Alors la prochaine fois que vous demanderez à votre enfant d’être « raisonnable », rappelez vous qu’il en est physiquement incapable ou en tout cas que ses capacités sont très loin des vôtres. Il vaut mieux avoir des attentes plus réalistes et surtout lui apporter un environnement qui va lui permettre de mieux faire murir son cortex préfrontal et affiner ses capacités d’attention et de raisonnement.

L’une d’elle a été citée de manière très clairvoyante par Maria Montessori. Si vous avez l’occasion de lire l’un de ses ouvrages, vous verrez qu’elle insiste sur la nécessité de ne pas surcharger les murs des chambres ou des classes des enfants et conseille de garder au minimum les dessins, posters, photos. Ceci vise à limiter les sources de distraction et à favoriser la concentration des enfants.

Il a été montré que le cerveau humain, et celui des enfants encore plus, n’est pas capable de traiter de manière parfaitement simultanée deux informations. Ainsi si deux informations arrivent en même temps, il est probable que l’une d’elles soit tout simplement ignorée.

Pour vous monter à quel point il est facile de surestimer l’attention, je vous propose de regarder cette vidéo :

Vous verrez que même si l’on croit être attentif, il est extrêmement difficile de noter tout ce qui se passe dans notre environnement. Notre cerveau va sélectionner les informations qui lui paraissent les plus pertinentes et ignorer les autres.

Alors pensez à vos enfants comme à vous après avoir vu cette vidéo, il ne s’agit pas d’une question de volonté ou d’intelligence mais tout simplement des limites inhérentes à nos capacités attentionnelles.

Alors comment rendre pertinentes les informations que l’on veut que nos enfants retiennent ou, du moins, remarquent?

Des études ont montré que ce qui est très important pour qu’un enfant prête attention à une information ou à un apprentissage que l’on veut transmettre, c’est l’établissement d’une relation un à un avec lui via notamment le contact visuel (également appelé « indice ostensible de communication »).

Regarder un enfant dans les yeux au moment où on lui parle va incidemment lui faire comprendre que ce qu’on dit ou fait est important pour lui et son développement. Cela paraît si évident, mais si facile à oublier au quotidien !

La science a permis de prouver avec de très jolies expériences que cette intuition que tout parent pourrait avoir « je te regarde dans les yeux pour que tu m’écoutes » est fondamentalement ancrée dans le processus de développement de l’enfant.

 

Je vous en montre une ici (Egyed et al., 2013) qui consiste à placer un enfant de 18 mois face à 2 objets distincts.

 

Tiré de Egyed K. et al., Communicating Shared Knowledge in Infancy, (2013). Psychological Science, 24(7) 1348–1353

Une personne (appelons la Marie) prend place en face de lui, sans rien dire. Marie va regarder avec envie un des 2 objets et avec dégout l’autre objet. Puis une autre personne (appelons la Anne) va remplacer Marie et tendre la main. L’enfant comprend qu’il doit lui montrer un des 2 objets.

On remarque que si juste avant de regarder les objets, Marie a regardé l’enfant dans les yeux, dans la plupart des cas, l’enfant va montrer à Anne l’objet qui faisait envie à Marie (première ligne de la photo).

Cependant si au début de l’expérience, Marie n’a pas établi de contact visuel avec l’enfant, lorsqu’Anne arrive, l’enfant va la plupart du temps lui montrer l’objet qui n’intéressait pas Marie (deuxième ligne de la photo). Mais si c’est Marie qui vient se mettre face à lui, alors il va lui montrer l’objet qui lui faisait envie (troisième ligne de la photo).

Que se passe-t-il dans la tête de cet enfant de 18 mois ?

En fait, l’enfant utilise le contact visuel comme un indice pour déterminer ce qui est généralisable ou pas. Quand Marie le regarde, l’enfant comprend qu’on lui montre une règle « universelle », un objet qui est « bon », « désirable ». Il va donc le considérer « bon » quelles que soient les circonstances et peu importe qui le lui demande. Cependant en l’absence de contact visuel initial, l’enfant observe juste la préférence de Marie. Ainsi il comprend ce qu’elle veut mais ne le généralise pas aux autres personnes.

Cet « indice ostensible de communication » l’aide à comprendre ce qui est important et qui doit être retenu et généralisé.

Quel mécanisme astucieux !

Il existe de nombreux autres études fascinantes portant sur l’attention de l’enfant mais l’essentiel est de se souvenir que sa capacité d’attention est bien inférieure à la nôtre et que l’on doit absolument éviter de divertir son attention en lui demandant de faire ou d’écouter deux choses à la fois ou en laissant trainer trop de stimuli visuels ou auditifs. Il faut aussi se souvenir de l’importance du contact un à un et de le regarder dans les yeux quand on lui parle car cela l’aide à mieux assimiler ce que l’on veut lui transmettre.

Si vous voulez allez plus loin, je vous conseille le cours en ligne de Stanilas Dehaene : Cours numéro 2, « L’attention et le contrôle exécutif »

Si vous voulez à nouveau « tester » votre attention, vous pouvez aller voir la vidéo suivante  :

https://www.youtube.com/watch?v=vJG698U2Mvo