La Ferme des Enfants est une école fondée il y a 18 ans par Sophie Rabhi dans le but d’offrir une école bienveillante à ses enfants. Elle explique en détails son parcours et son expérience dans ce livre, auquel il manque maintenant un épilogue, dans lequel elle expliquerait comment elle a finalement décidé avec toute l’équipe pédagogique que la bienveillance éducative passait aussi par la démocratie et l’apprentissage dirigé par l’enfant. Les élèves de cette école démocratique sont donc appelés des citoyens. Cette école est située au Hameau des Buis, un Écohameau intergénérationnel dont le fonctionnement est géré par un système de gouvernance sociocratique. L’école est magnifiquement située au milieu des montagnes, près d’une rivière, entourée de champs, de vignes et d’une forêt. Il s’agit d’un lieu qui invite au repos et au ressourcement.
Le lieu
L’école est constituée de différents lieux dispersés sur un immense terrain arboré.
- Le bâtiment principal est un vieux mas qui abrite la cuisine, la cantine qui sert également de salle de réunion et de formation ainsi que la médiathèque à l’étage. Devant le mas, il y a une terrasse avec des tables, un hamac, une balançoire. Durant les formations, il s’agit d’un lieu d’échanges où se rassemblent les gens de passage comme les habitués.
- Il y a également une série de yourtes, chacune ayant une fonction spécifique :
- la yourte des maternelles abritant tout le matériel Montessori (le paradis pour ma fille !)
- la yourte verte du primaire abritant la labo-logosphère dédiée aux sciences et au langage avec également du matériel Montessori.
- la yourte rouge (anciennement yourte laboratoire) que les citoyens ont récemment décidé de garder pour eux afin de s’y rassembler pour jouer ou discuter et dont l’entrée est « interdite » aux adultes (elle est aussi maintenant appelée « yourte des citoyens« );
- Chez Gigi et Chacounet, la yourte dédiée à la médiation (résolution des conflits par la Communication non violente);
- la yourte des arts, dédiée aux activités artistiques (où l’on pratique le Jeu de peindre);
- le Dojo, une yourte où l’on pratique des activités sportives.
- une caravane des langues.
- On y trouve aussi une maison de paille, la Luna, utilisée pour des projections de films et la pratique musicale. Elle contient une grande variété d’instruments de musique.
- Une guinguette a également été ouverte sur proposition des jeunes citoyens et sert des boissons et des crêpes en fin d’après-midi, ce qui permet d’amasser de l’argent pour les différents projets de l’école.
L’école est une véritable ferme avec des chèvres, des poneys et des volailles dont les enfants peuvent s’occuper. On y trouve également un jardin de permaculture, des ateliers d’ébénisterie, une forge, une boulangerie, etc. Les enfants peuvent d’ailleurs aller aider le boulanger à faire du pain le matin, expérience également offerte aux stagiaires et aux visiteurs pour peu qu’ils se sentent l’âme d’un « lève-tôt ».
Un belvédère permet d’embrasser une magnifique vue sur la vallée, la rivière, les montagnes au loin.
En plus des bâtiments de l’école, les enfants ont accès à divers lieux dans le éco-hameau. S’ils le souhaitent, ils peuvent également cueillir des fruits et faire des confitures ou aider à la fabrication des fromages de chèvres qui seront ensuite vendus sur le marché du Hameau des Buis, qui se tient tous les vendredis après-midi.
Les activités
La Ferme des Enfants compte 80 enfants, qui deviennent des « citoyens » une fois qu’ils ont bien en tête les règles, la topographie du lieu, les valeurs (bienveillance, écologie etc) et qu’ils sont prêts à participer à son fonctionnement. Ce passage est officialisé par la validation de sa « carte commune », au plus tard 2 mois après la rentrée. Onze adultes sont présents sur les lieux en permanence, répartis sur les différentes aires et sont prêts à accompagner les jeunes dans leurs activités. Les adultes sont des facilitateurs, faisant partie de l’équipe pédagogique ou des jeunes réalisant un service civique ou encore un programme de volontariat européen. La Ferme accueille également des Grands Ados-Jeunes Adultes ou GAJA, jeunes de 15 ou plus ayant fini leur collège (équivalent du secondaire 3) et qui ont besoin d’une pause avant de décider ce qu’ils souhaitent faire de leur vie professionnelle. Ces jeunes peuvent participer à la vie de l’école en endossant des rôles en relation avec leurs intérêts. Ils peuvent participer aux ateliers et même suivre des cours s’ils en ont envie. Ils permettent d’aider à l’encadrement des plus jeunes.
En début d’année, chaque enfant choisit un parrain au sein de l’équipe pédagogique. Celui-ci sera son référent privilégié, il veillera davantage à son bien-être et à répondre à ses besoins. Il organisera les réunions avec ses parents et l’aidera à développer ses projets personnels.
Les facilitateurs proposent des ateliers et accompagnent les enfants dans leurs apprentissages. Pour les enfants de 3-6 ans, il y a en permanence 2 adultes et un jeune. À l’école, les citoyens de plus de 6 ans sont totalement libres d’aller et venir sur l’ensemble du terrain (avec certaines restrictions pour la rivière). Ceux qui le souhaitent ont la possibilité de participer à de nombreuses activités. Un grand nombre d’ateliers sont proposés par les adultes facilitateurs : des massages, du chant, des jeux coopératifs, mais aussi des enseignements formels pour ceux qui le souhaitent. Une éducatrice Montessori est présente tous les jours pour accueillir et soutenir les enfants de 3-5 ans intéressés par le matériel Montessori. Sophie est également formée pour présenter le matériel Montessori pour les 6-12 ans et notamment raconter aux jeunes intéressés les « Cinq grandes leçons » permettant aux jeunes de comprendre l’origine de l’univers, de la planète, de l’homme et également le développement des connaissances dans l’Histoire.
Une des activités que nous avons testées lors de la formation est issue du programme Massage in school. Il s’agit d’un programme développé il y a plus de 15 ans au Royaume-Uni et qui est maintenant pratiqué dans plus de 1300 écoles à travers le monde (et notamment au Québec). Il s’agit d’une routine de 15 mouvements de massage qui se pratique assis sur une chaise, tout habillé. Les mouvements sont enseignés aux enfants de manière ludique lors de différentes sessions par un instructeur formé. Les enfants volontaires se mettent par binôme selon leurs affinités et vont ainsi réaliser des massages à tour de rôle. Durant la formation, nous avons pratiqué l’ensemble des mouvements et on a trouvé cela vraiment très relaxant. On s’est dit que les enfants étaient bien chanceux de pouvoir pratiquer cette activité régulièrement. Notre formateur a insisté sur le fait qu’il est important d’offrir ce moment aux enfants sans avoir aucune attente (tant en terme d’apprentissage que de comportement). Il s’agit d’un moment de calme et d’échanges qui leur est offert simplement. Il est fort possible que les enfants ressortent de ces séances apaisés, plus calmes et prêts à se concentrés mais cela n’est pas le but recherché.
Il y a également différents clubs qui se créent selon les intérêts des enfants (Journal, Chorale, éthologie, géométrie, musique, football, tir à élastiques, Go, science-fiction). Tout membre de l’école (facilitateur ou citoyen) peut proposer la mise en place d’un club. Par exemple, un enfant qui était passionné par le jeu de GO a créé un club au sein de l’école et a initié ses camarades et les facilitateurs à ce jeu. De plus, afin de diversifier les activités, les citoyens peuvent écrire sur un panneau je demande/je propose les ateliers qu’ils souhaitent offrir ou recevoir. Les enfants peuvent également participer aux commissions chargées d’organiser des activités pour l’école (voyage, petites sorties, ventes, médiathèque).
Concrètement, au quotidien, les enfants passent énormément de temps dehors à se balader et à jouer ou encore à discuter dans la yourte dédiée aux jeunes.
La Gouvernance
Être un citoyen de l’école implique des droits et des devoirs que l’enfant s’engage à respecter en signant un contrat lors de son admission à l’école. Les parents signent également un contrat dans lequel ils s’engagent à accepter que leur enfant soit libre de faire ce qu’il veut à l’école, à lui faire confiance et à faire preuve de bienveillance afin d’être cohérent avec la posture des adultes présents à la Ferme des Enfants.
Chaque enfant doit prendre cinq engagements :
- informer de sa présence sur les lieux
- venir en médiation s’il y est appelé
- ne pas jouer aux jeux vidéos à l’école
- apprendre la culture commune des lieux (gestes écologiques, communication non violente, instances de gouvernance partagée, bon usage des espaces)
- participer aux tâches ménagères
Les enfants participent donc activement au fonctionnement de l’école. Ils se répartissent des rôles afin d’en assurer son entretien, participer à la cuisine, au rangement, aux activités de la Ferme, aux conseils d’école ou de médiation.
LE CONSEIL D’ÉCOLE
L’école est gérée par le Conseil d’École qui décide de son fonctionnement de manière sociocratique. Tous les citoyens et membres de l’équipe pédagogique peuvent participer aux Conseils d’École qui ont lieu tous les vendredis matins. Les décisions sont prises par consentement -zéro objection (pour plus de détails, voir cet article). Il s’agit d’un système de décision particulièrement apprécié par les enfants car ils le trouvent juste. La présence à ces conseils n’étant pas obligatoire (depuis que l’école est devenue « démocratique »), il y a eu, l’année dernière, entre 10 et 30 % de participation aux Conseils d’école.
Le Conseil d’école décide donc des règles à suivre, distribue les différents rôles (médiateur, responsable des repas, de la ferme, etc), donne son accord à la création des commissions, des clubs etc.
Chacun peut y soumettre des demandes pour modifier ou proposer des règles, faire des demandes d’achat ou des demandes de création. Pour cela, il faut remplir un petit coupon et le déposer dans une boite prévue à cet effet qui est ouverte à chaque Conseil. Les jeunes citoyens qui ne savent pas encore écrire peuvent demander l’aide de personnes plus âgées pour rédiger leur demande.
Les décisions et notamment les règles sont prises au fur et à mesure des besoins et affichées sur un tableau dans la cour, visibles par tous.
Il y a environ 50 règles (voir les exemples ci-dessous) qui doivent être connues de tous. Le but est donc d’éviter d’ajouter des règles redondantes ou de garder des règles qui s’avèrent inutiles. Les règles de la Ferme des Enfants ne peuvent contredire les règles du Hameau des Buis (qui prévalent) qui, elles-mêmes, ne peuvent contredire les lois françaises et européennes.
LE CONSEIL DE MÉDIATION
Le Conseil de médiation se réunit tous les jours dans la yourte dédiée (chez Gigi et Chacounet) pendant deux heures pour résoudre les conflits à l’aide de la Communication Non Violente (ou CNV) et de l’écoute active (pour plus de détails sur ces méthodes, voir cet article). La CNV est appelée langage girafe, par opposition au langage « chacal », celui où l’on parle sans empathie (par exemple en accusant quelqu’un d’avoir commis un délit). Des demandes de médiation peuvent être déposées à tout moment dans une boite prévue à cet effet. Celle-ci est ouverte chaque jour et les demandes sont traitées par ordre de date et d’urgence. Si l’on est appelé en médiation, on a l’obligation de s’y rendre.
Le Conseil de Médiation est formé d’enfants, d’adolescents et d’adultes volontaires. Ils sont tous formés au préalable à la médiation CNV.
Les enfants peuvent convoquer une autre personne avec qui ils ont vécu un conflit et les médiateurs vont les inviter à suivre le processus de CNV (observer, exprimer ses sentiments et ses besoins, formuler une demande), de façon un peu allégée pour les enfants. Ici on ne parle pas de victimes ou de coupables mais de médians. Durant le processus, les médiateurs et les médians vont s’intéresser aux faits, au ressenti et aux besoins de chacun afin de trouver une solution qui convient à tout le monde. Ceci évite le recours à des punitions, des sanctions ou des jugements et aide les enfants à développer leur empathie et leur propre aptitude à résoudre les conflits et trouver des solutions par eux-mêmes. Aussi enseigner cet outil aux enfants augmente leurs chances d’être mieux compris et de mieux se faire comprendre.
Les enfants peuvent également faire une demande de médiation « immédiate », sans attendre le conseil de médiation en allant chercher une personne formée en CNV et faisant partie des médiateurs volants.
Les mesures « disciplinaires »
Si un citoyen est appelé 3 fois en médiation pour les mêmes raisons, un processus d’accompagnement est lancé avec les parents et leur parrain ou marraine. Le citoyen doit se présenter à 4 rendez-vous à une semaine d’intervalle pour évaluer la situation et savoir s’il est apte ou non à conserver sa liberté.
Les restrictions de liberté sont de deux ordres : soit l’enfant doit rester un mois dans un petit périmètre soit, pour les cas les plus graves, il doit rester trois semaines chez lui.
Admission et frais
Avant d’admettre un enfant à l’école, les parents sont invités à lire des livres de référence sur le sujet de l’éducation bienveillante et à visiter l’école lors d’une des journées portes-ouvertes hebdomadaires. Ils doivent également y passer une demi-journée en observateur. Il est très important que les parents et les enfants aient bien conscience du fonctionnement de l’école et que cela convienne à tous. En effet, bien souvent les familles viennent de loin pour mettre leur enfant dans cette école. Ils quittent leur emploi, leur famille et leur réseau social pour offrir ce type d’ éducation et parfois ils peuvent avoir des attentes assez hautes, au regard de leur « sacrifice ». Or il est important de conserver une bonne entente et une relation de confiance entre les familles et l’équipe pédagogique, ce qui passe par beaucoup d’explications et de réflexion en amont. Les parents peuvent se rendre au café des parents hebdomadaire ce qui leur permet de rencontrer l’équipe pédagogique ou d’échanger entre eux pour rester connectés à l’école. Sophie a souligné que les parents trouvaient cela très rassurant de se sentir accueillis régulièrement à l’école.
Les parents doivent faire 60 heures de bénévolat par an. Les frais de scolarités (ou écolages) sont de 3000 euros par an, ce qui est peu pour une école privée. Ces frais sont faibles notamment car le salaire de tout le personnel est bas (10 euros de l’heure quelque soit le poste), que les facilitateurs sont souvent payés à l’heure, que des volontaires aident à l’encadrement, qu’une partie de l’entretien de l’école est prise en charge par les citoyens et également grâce aux heures de bénévolat des parents. Les parents ayant plus de moyens sont invités à faire acte de solidarité en valorisant leur participation financière.
Une école en évolution…
En France l’instruction est obligatoire, les enfants doivent apprendre des notions de base, ce que l’on appelle le socle commun. Ainsi l’école n’est pas tenue de suivre le programme de l’Éducation Nationale mais doit permettre aux enfants d’acquérir ce socle commun, selon des paliers d’âge prédéfinis. Ces apprentissages sont généralement validés par des visites annuelles de l’inspecteur d’académie. Afin d’évaluer de manière implicite les apprentissages informels pouvant se rapporter au socle commun, l’équipe pédagogique a utilisé un logiciel crée par l’école dynamique (ATHENA), qui permet de traduire en compétences du socle commun, tout un tas d’activités que les enfants peuvent faire dans l’école. Par exemple faire des crêpes pourrait être traduit en diverses compétences en lecture et mathématiques. Cependant l’équipe pédagogique a trouvé que son utilisation était laborieuse et très chronophage. Ils ont aussi trouvé difficile de suivre ainsi chaque enfant. Leur demander ce qu’ils ont fait ou essayer de les avoir sous les yeux n’est pas forcément compatible avec la topographie du lieu ou même l’esprit de l’école démocratique puisqu’idéalement les enfants n’ont de compte à rendre à personne.
Pour la deuxième année, l’équipe a donc décidé de plutôt suivre de manière informelle les enfants en photographiant leurs réalisations ou leurs activités afin de constituer des porte-folios dans lesquels ils pourront souligner les compétences associées. Il existe également une correspondance entre les activités Montessori et les compétences du socle commun. N’ayant pas été inspecté pour cette première année, ils n’ont pas d’idée de comment sera reçue leur nouvelle organisation.
Retour sur le changement de fonctionnement
Depuis que l’école est devenue démocratique, Sophie trouve qu’il y a beaucoup moins de tension. Cependant le nombre de demande de médiation est vraiment très élevé. La médiation constitue un aspect très important de la vie des enfants. L’idée est qu’à force de participer aux conseils de médiation, les enfants vont apprendre à gérer leur conflit par eux-même.
La transition vers un modèle démocratique n’est cependant pas évidente à vivre. Il faut désapprendre le fait de suivre un programme, d’avoir des examens, un emploi du temps etc. Certains enfants que j’ai rencontrés durant le stage m’ont confié être un peu déroutés par ce changement. Les enfants (et leurs parents) étaient encore en phase d’adaptation après la première année.
Il sera vraiment intéressant de voir l’évolution de l’école et des projets qui s’y réalisent. Déjà, entre le moment où je l’ai visitée (à la fin de sa première année de vie « démocratique ») et maintenant, certaines modifications et adaptations ont été apportées. Elle va donc être en constante évolution pour trouver l’équilibre « juste » pour l’ensemble de la communauté de la Ferme. Pour ceux qui s’y intéressent de plus près, vous pouvez aller voir le site internet de la Ferme des Enfants ou le blog réalisé par les collégiens.
Personnellement, j’ai été impressionnée par la richesse des activités réalisées à la Ferme, et par la maturité des enfants que j’y ai croisés. Certains gèrent de manière totalement autonome la guinguette. Ils font preuve d’un très grand sens des responsabilités. Ils utilisent leur liberté pour suivre leurs intérêts, se lancer des défis, fonder des projets et des clubs en tout genre. Je suis vraiment admirative de leur élan et de leur motivation !