Ma semaine à la Ferme des enfants (Troisième épisode) : la prise de décision par consentement en sociocratie

Je continue ma série d’articles sur la Ferme des Enfants par la formation en gouvernance partagée et sociocratie que nous avons reçue. J’avais déjà entendu parlé de gouvernance partagée et je connaissais les principes de base de la sociocratie et notamment de la prise de décision par consentement sans avoir une idée très claire de la manière dont cela pouvait être mis en œuvre de manière pratique.

Durant cette semaine de formation, c’est Laurent Bouquet, le conjoint de Sophie et cofondateur de la Ferme des enfants qui nous a enseigné cette technique et de manière « pratico-pratique » et très dynamique. Il nous a tout de suite mis dans le bain en nous expliquant qu’on allait devoir utiliser la prise de décision par consentement –zéro objection afin d’organiser la soirée festive de fin de stage. Or, comme on était nombreux (24 stagiaires) et que le temps imparti pour la réflexion et la prise de décision était relativement court (deux fois 1h30), il a animé notre réunion en véritable chef d’orchestre, s’assurant que l’on ne se perdait pas en détails et en digressions. Il nous a fait plonger directement dans le processus sans trop nous expliquer la théorie et je dirais qu’en effet, la pratique de ce type d’exercice vaut mille mots.

Pour ceux qui veulent avoir plus de détails, (en attendant d’avoir l’occasion de la pratiquer), je vous conseille le très bon MOOC en gouvernance partagée  organisé par les Colibris (voir aussi cette animation pour un super résumé du processus).

La sociocratie est un outil incroyablement efficace pour prendre des décisions, animer des réunions, pour peu que l’animateur de la réunion soit bien au fait de la technique, vigilant quand aux respect des règles et du timing. 

Ma façon de voir les réunions a été révolutionnée.

La prise de décision par consentement est une procédure assez protocolaire et donc bien balisée, qui permet de prendre des décisions, d’organiser des évènements (ou autre) rapidement et en limitant les frustrations ou ressentiments éventuels qui peuvent naitre dans les réunions où l’on pratique la négociation suivie d’un vote à la majorité.

Au-delà du processus de prise de décision finale, toute la progression et l’organisation des différentes phases des réunions a été très instructive. Je pense que ce sont les 2 seules réunions de ma vie que j’ai trouvées réellement constructives, productives et diablement efficaces. Pas une minute n’a été perdue à faire autre chose qu’avancer sur la question posée.

La clé est cependant d’avoir un leader/animateur de réunion très bien formé à la procédure qui peut ainsi bien gérer les interventions des gens, tant en terme de temps qu’en terme de contenu. Cela permet de garder la réunion dynamique et concise.  On est obligé de se concentrer pour ne pas « rater le coche ». Aussi on sait que ça va être rapide donc c’est plus facile de se motiver pour rester concentré.

Alors allons-y, je vous explique maintenant quelle est cette technique révolutionnaire pour prendre des décisions (même à 24 !!!!!).

La première partie est la « mise en proposition », ou consensus systémique (voir figure ci-dessous), un ensemble de 3 étapes visant à énoncer la question, écrire et évaluer les propositions du groupe. Cette procédure peut être appliquée à l’organisation de n’importe quel évènement ou même discussion où plusieurs solutions peuvent être proposées.

Document tiré des ressources de l’Université vivante, mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International

Voici les étapes que l’on a suivies :

  1. On a commencé par une réunion stratégique (de 30 minutes) lors de laquelle la question a été énoncée (Ici,  « que voulez-vous faire lors de votre soirée festive ? ») et chacun a pu apporter sa réponse en mode « popcorn ». Dans cette phase, les idées fusent sans que l’on se soucie de la faisabilité, du comment, du pourquoi ou du qui. On ne fait pas de tour de parole un par un, chacun peut s’exprimer, dès que l’autre a fini. Il s’agit donc de faire des propositions, qui sont notées à la vue de tous par l’animateur de la réunion. Pour plus de clarté, chaque proposition est nommée par une lettre de l’alphabet.

Par exemple :

A. Méditer sous les étoiles,

B. Écouter de la musique avec une sono.

Ensuite chacun a évalué à l’écrit sa résistance ou tension ressentie par rapport à chaque proposition. On a donc attribué, à chaque proposition une note de 0 (aucune résistance, je suis parfaitement d’accord avec cette proposition) à 10 (très forte résistance, je suis totalement opposé à cette proposition).  Donc typiquement, celui qui a proposé mettra 0 à son idée. Si on met 5, c’est qu’on ne tient pas particulièrement à cette idée (cela nous est égal que la proposition soit acceptée ou non mais on ne va pas se battre « pour »), mais ça ne nous gène pas qu’elle soit retenue (on ne va pas non plus se battre « contre »).  Ici on ne s’exprime pas contre la personne qui a proposé (d’ailleurs son nom n’est pas noté) mais juste en fonction de notre ressenti personnel face à cette proposition. On a donc pris 10 minutes pour évaluer les 20 propositions.

Dernière étape dans cette phase de mise en proposition : la notation collective ou expression du groupe.  Pour chaque proposition, on  a additionné les points accordés par chacun. On a fait, pour cela, un petit exercice de calcul mental. La première personne devait donner son score à la proposition A, la 2ème devait alors ajouter son propre score dans sa tête et dire oralement le résultat de l’addition. La troisième personne ajoutait à son tour son score au résultat obtenu et ainsi de suite jusqu’à ce que tout le monde ait parlé.

Cette phase d’expression du groupe,  permet d’aboutir à une évaluation chiffrée des résistances du groupe face à chaque proposition. C’est un réél exercice de co-créativité. Le résultat final émergera d’une réflexion commune où chacun a pu donner ses idées (lors de la proposition) ou son avis (lors de la notation). Le résultat pourra donc être « assumé » par l’ensemble du groupe.

Ce processus est également appelé consensus systémique.

2. On est ensuite passé à la formation d’un groupe de travail qui s’est réuni afin de faire une proposition opérationnelle. Dans notre cas, ce groupe de travail était constitué de 5 personnes qui se sont portées volontaires (mais on aurait aussi pu faire une élection sociocratique). Elles avaient pour mandat de travailler à partir des propositions du groupe (et de leur notation) et de faire de leur mieux, dans le temps imparti (une réunion d’une heure trente environ) pour proposer un programme pour la soirée festive . Pour cela, le groupe de travail devait utiliser une fiche de proposition afin de rédiger la proposition. Cette fiche d’une page contient différentes sections (thème, sujet, contexte, question à traiter, proposition détaillée incluant qui fait quoi, le budget), et notamment les avantages et inconvénients de la proposition.

Une proposition n’a pas besoin d’être très précise car le groupe peut la bonifier par la suite et la proposition mûrit avec le collectif.

Le groupe de travail a nommé une « présidente » de groupe agissant en tant que porte-parole et qui s’est chargée de présenter la proposition et de répondre aux questions.  Une fois rédigée par le groupe de travail, la fiche de proposition a été distribuée au groupe qui en a pris connaissance avant la réunion de « prise de décision par consentement-zéro objection ».

3. Prise de décision à zéro objection

Document tiré des ressources de l’Université vivante, mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

La prise de décision par consentement peut être utilisée pour n’importe quel type de décision, pourvu qu’une proposition ait été élaborée au préalable. Elle diffère d’une prise de décision par concensus car ici, on ne cherche pas à avoir un « oui » unanime mais plutôt à ne recueillir aucun « non », c’est-à-dire, aucune objection. À savoir qu’une objection doit être jugée légitime par l’animateur et n’est pas une simple préférence (on en reparle plus bas).

 

3.1 Présentation de la proposition

La présidente du groupe de travail a présenté la proposition au groupe en suivant la fiche rédigée. Tous les participants ont écouté activement en prenant des notes. Dans notre cas, le groupe de travail avait essayé de garder la plupart des propositions qui avaient été émises et qui avaient reçu le moins de résistance en rendant optionnelles certaines activités (se balader vers la rivière, méditer sous les étoiles, faire un atelier de dégustation de vin).

3.2 Phase de clarification

Tous les participants ont pu poser des questions pour clarifier la proposition, en mode pop-corn. Le but était de clarifier ce que l’on n’avait pas bien compris et non de faire des contre-propositions induites. À ce stade, on ne donnait donc pas notre avis.

3.3 Tour d’expression

Chacun avait une minute pour donner son avis (qui pouvait être très bref lorsque la proposition convenait). Il était toutefois possible de souligner ce qui nous plaisait particulièrement. On pouvait également spécifier ce qui nous plaisait moins et préciser ce qui manquait ou ce qu’il aurait fallu changer pour que ça nous plaise plus. Par exemple, une personne a dit qu’elle trouvait dommage de faire plein d’ateliers optionnels différents en même temps car elle pensait que ça allait limiter la cohésion du groupe et les occasions d’échanger tous ensemble.

3.4 Bonification de la proposition

La chef du sous-groupe de travail a alors modifié la proposition en fonction des commentaires qui ont été émis par le groupe. Il s’agissait ici de bonifier la proposition pour qu’elle plaise au plus grand nombre. La chef de groupe était ici souveraine. Elle représentait le groupe mais dans sa propre subjectivité et et devait prendre la responsabilité de modifier autant qu’elle le souhaitait la proposition, sans consulter son groupe de travail. Les membres du groupe de travail avaient la possibilité « d’objecter » lors de l’étape suivante.  L’animateur notait les modifications au fur et à mesure. Lors de cet exercice la chef du groupe de travail a courageusement fait un gros ménage en supprimant beaucoup d’activités optionnelles et en simplifiant beaucoup la proposition.

3.5 Le tour d’objection

On a été invité, chacun à notre tour , à se prononcer sur la nouvelle proposition en disant  « pas d’objection » ou  » j’ai une objection » sans détailler la nature de l’objection. L’animateur a pris en note la liste des personnes qui avaient une objection.

Il est important de comprendre qu’une objection n’est pas une préférence. Il s’agit plutôt d’un aspect de la proposition qui nous pose vraiment problème, « avec lequel on ne peut pas vivre ». Il s’agit de quelque chose qui est contraire par exemple à nos valeurs ou qui va limiter notre engagement et notre motivation dans la poursuite du projet. 

Une fois le tour de table fini, l’animateur a invité la première personne à expliquer son objection. L’animateur a alors posé des questions pour être sûr de bien la comprendre, et identifier les besoins sous-jacents. Cette phase lui a permis de « qualifier » l’objection (et de s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une préférence). Une phase de discussion a suivi afin de voir ce qui pouvait lever cette objection. Durant cette étape, le groupe s’est concentré sur les besoins de la personne qui a objecté, sans se soucier des autres objections suivantes ou des nouvelles objections qui auraient pu en découler. Tout ceci se fait sans jugement, en faisant de l’écoute active pour comprendre parfois ce qui se cache derrière une objection. L’animateur a alors fait une proposition pour répondre au besoin de la personne qui avait objecté. La personne a considéré que la proposition répondait bien à son besoin et elle a levé son objection. Dans le cas contraire, on aurait dû chercher une autre proposition. Il faut alors être imaginatif. Une fois que la première objection a été levée, on a passé en revue toutes les objections suivantes. Une fois que toutes les objections ont été levées, la proposition bonifiée a fait l’objet d’un second tour d’objection. On a recommencé le processus jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’objection.

Dans notre cas, la première objection était partagée par plusieurs personnes. En la traitant, on a donc levé plusieurs objections en même temps. Certaines objections nous ont permis de parfaire l’organisation pratico-pratique de la soirée, en soulignant qu’il fallait désigner des personnes responsables pour coordonner chaque aspect de la soirée. Nous avons eu finalement 3 tours d’objections. J’ai été impressionnée de voir à quel point les objections ont permis de bonifier le programme de la soirée. Cette réunion incluant les 3 tours d’objections a duré 1h30. À la fin, on avait un programme précis de la soirée, une liste des choses à faire, les responsables en charge de coordonner les différentes activités et la satisfaction d’avoir abouti à un résultat qui convenait à tout le monde sans qu’il y ait eu de perte de temps ou de friction interpersonnelle.

Cette expérience m’a appris trois points essentiels sur ce mode de décision :

  • Poser une objection est un acte de co-création :

Dans notre exemple les objections se sont révélées très constructives et elles ont souvent été partagées par plusieurs personnes qui n’avaient pas forcément osé poser une objection. Cela m’a fait réaliser l’importance de ne pas hésiter à exprimer une objection, de surmonter la peur (infondée) de passer pour « un rabat-joie tatillon ». C’est sûr qu’au début, il est très difficile de savoir si notre objection est valable ou non et il peut être tentant de se retenir de l’exprimer. Pourtant, il est courant que plusieurs personnes aient la même objection sans oser la nommer. Pour se sentir plus à l’aise, il faut voir les objections comme des occasions de bonifier la proposition. Il est important de penser à ses propres besoins et ne pas se restreindre par peur d’aller contre le groupe. En sociocratie, les besoins de chacun sont légitimes. Il n’y pas d’idée qu’un individu doit se conformer à l’avis de la majorité. Chaque individualité a sa place.

  • Travailler sur une proposition à bonifier évite les remises en question incessantes:

Le fait de travailler sur une proposition, un texte écrit, lu par tous dans l’optique de la bonifier, sans possibilité de revenir en arrière pour tout changer permet d’avancer plus vite. Chacun sait que le but est d’avancer pour finaliser la proposition. Le fait de ne pas revenir en arrière ou de tout recommencer à zéro comme c’est parfois le cas lors de certaines prises de décision mais plutôt de modifier la proposition juste ce qu’il faut pour être « acceptable » permet de canaliser les énergies et de simplifier les discussions.

  • Avoir un  protocole de travail balisé avec des étapes claires permet d’éviter les discussions stériles

Dans cette procédure, il n’y a pas de place pour discuter des préférences ou des détails que l’on aurait vus différemment. Cela signifie que le résultat final ne correspondra pas à l’idéal de chacun, mais sera plutôt un compromis acceptable (on dit parfois « good enough for now » ou  « safe enough to try »). On n’a donc pas besoin de négocier chaque détail. Cela permet d’éviter les digressions et les monologues de ceux qui aiment parler pour ne rien dire.

Dans l’exemple que j’ai donné, tout s’est passé très vite car l’enjeu était peu chargé émotionnellement. La question posée était très pratique. Cependant, j’ai pu observer que lorsque l’enjeu discuté touche particulièrement les participants, la phase du tour d’expression peut être prolongée pour « contacter le problème ».  Cette phase est alors très enrichissante et permet de bien mettre à plat les résistances de chacun avant d’essayer de résoudre le problème.

La prise de décision par consentement est donc un des outils de base de la sociocratie et elle peut être utilisée dans tout type d’organisation ayant une « gouvernance partagée ».

Gouvernance partagée :

Bien que l’on n’ait pas abordé en détails tous les aspects du fonctionnement de la gouvernance partagée (qui fait l’objet d’une formation de 5 jours), je peux vous partager  ce que nous en a dit Laurent Bouquet. La gouvernance partagée diffère de la gouvernance hiérarchique habituelle car elle distribue le pouvoir sur des cercles spécialisés qui vont s’échanger les informations pertinentes. Mais il ne s’agit pas de tout discuter et de tout « voter » en groupe car ce mode de fonctionnement s’est montré particulièrement peu efficace pour aboutir rapidement à des actions concrètes. Dans une gouvernance partagée, des rôles avec un champ de décision et de compétences spécifiques sont distribués. Ainsi chaque personne va avoir son périmètre d’action et de décision. En cas de désaccord, il existe des procédures pour soit demander un changement de décision ou rééavaluer le champ d’action du rôle. Ainsi il y a en amont un gros travail pour décider ce qui se décide en groupe et ce qui est délégué à un rôle précis. Une fois ce travail fait, le groupe peut ainsi avancer rapidement et seul les enjeux importants sont discutés dans les cercles.

À la Ferme des Enfants, le Conseil d’École prend ces décisions grâce au consentement zéro-objection. Il semble que les réunions soient efficaces et que les enfants apprécies la procédure car ils savent qu’il y a des règles justes.


Cette expérience de prise de décision m’a beaucoup plu et m’a donné envie d’aller plus loin. J’ai été séduite tant par les aspect pratiques que sur l’aspect humain. En effet, la sociocratie se base sur une communication sincère, dénuée de jugement, permettant d’offrir un lieu d’échanges où l’on peut déposer ce que l’on a sur le coeur. La sociocratie est bien plus qu’une façon de gérer les réunions, de prendre des décisions. C’est vraiment une autre façon de penser les échanges humains au sein d’organisations en tout genre. Cela peut même s’appliquer à la famille.

Je ne prétend pas ici donner une vue exhaustive de ce qu’est la sociocratie mais je voulais vous partager mon expérience et vous recommander chaudement d’essayer d’en apprendre davantage et si possible de vous y faire initier par quelqu’un d’expérience. Il s’agit vraiment d’une pratique qui se vit plutôt qu’elle ne se lit.

Alors je vous souhaite une bonne expérimentation !!! 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ma semaine à la Ferme des Enfants (Deuxième épisode) : La Communication Non Violente

Je continue ma série sur la Ferme des Enfants en vous faisant part de ce que j’ai appris sur la Communication Non Violente (ou CNV) .

En effet, au cours de la formation, Sophie nous a expliqué les bases de la CNV qui tient une place très importante à la Ferme des Enfants, notamment pour résoudre les conflits entre les citoyens.

J’avais déjà entendu parlé de cette pratique et j’avais cru comprendre qu’il s’agissait d’une façon de bien négocier et de limiter les frustrations liées aux problèmes de communication. J’avais la sensation qu’il s’agissait là d’une méthode bien compliquée que l’on ressortait en cas de blocage majeur afin de simplifier une communication défectueuse. Or grâce aux explications de Sophie, à un exercice de mise en situation (que je vous décris plus bas) et à ma lecture de la bible de la CNV (« Les mots sont des fenêtres » de Marshall Rosenberg), je me suis rendue compte que c’est bien plus que ça.

La CNV est une nouvelle façon de vivre et cela s’adresse d’abord à soi-même avant d’être un outil pour communiquer avec les autres.

Le livre de Marshall Rosenberg, que je vous conseille vivement. Très facile à lire, il va changer votre vie !!!

Il s’agit tout simplement de savoir être à l’écoute de nos propres besoins et envies et d’être bienveillant envers nous-même en pratiquant l’auto-empathie.

Cela peu paraître d’abord flou et un peu perché comme pratique mais, moi qui suis assez cartésienne, j’ai été convaincue par la logique évidente derrière cette pratique et par le protocole simple et très balisé à mettre en place.

La CNV part du principe que chaque être humain a des besoins, que chaque besoin est légitime et que la plupart des conflits provient d’un besoin inassouvi. Personnellement, je trouve cette idée incroyablement rassurante et porteuse d’espoir.

Dessin affiché dans la yourte de la médiation de la Ferme des Enfants. En CNV, on distingue deux façons de penser et de parler, deux « langues » : 1) la langue « chacal », celle du reproche et du jugement où le ressenti de l’autre est ignoré (on ne fait alors pas preuve d’empathie mais on est plongé dans nos propres émotions « à chaud »); 2) la langue « girafe » qui est empreinte d’empathie sincère et dénuée de tout jugement.

Chacun est responsable de combler son besoin, et donc de s’arranger pour que son besoin soit comblé tout en respectant les besoins des autres.

C’est là, la force de la méthode: fini les « je vais prendre sur moi, faire des efforts, essayer de changer pour devenir meilleur ». Il s’agit de comprendre ce qui nous manque profondément et d’en faire la demande afin de trouver une solution qui convienne à tout le monde.

La communication non violente permet donc de combler nos besoins profonds et ceux des autres par des sortes de compromis gagnant-gagnant.

Je trouve que c’est un outil magique qui permet de se responsabiliser. Une autre idée que je trouve fort intéressante est que, lorsqu’on est en colère contre quelqu’un, on doit se demander pourquoi on est vraiment en colère. Car chaque situation peut être vue de manière très différente selon le point de vue et l’état émotionnel de chacun. Ce qui nous énerve, n’énervera peut-être pas notre voisin. Bien que l’attitude de l’autre puisse être un facteur déclencheur, la colère prend son  origine en nous. En cherchant à en comprendre l’origine, on va identifier le besoin inassouvi qui se cache derrière et il nous restera plus qu’à trouver comment le combler.

Dessin affiché dans la yourte de la médiation de la Ferme des Enfants. ll illustre les besoins cachés derrière la colère et la manière de recevoir cette colère en mode « girafe ».

Ainsi la colère de chacun lui appartient. Le corolaire de ceci est qu’on ne doit plus projeter nos peurs sur l’autre, ne plus se demander ce que l’on a fait pour l’agacer. C’est à l’autre de faire le travail pour comprendre l’origine de sa colère.

Cette philosophie allège beaucoup notre propension à nous auto-flageller et nous sentir responsable des mauvaises humeurs de notre entourage. On ne projette plus. Personnellement je respire beaucoup mieux !!!

 

Le bonhomme OSBD tiré de Wikipédia.

La méthode de la CNV peut paraitre assez fastidieuse au début.  Mais il est nécessaire de la suivre à la lettre, au début, afin d’automatiser cette nouvelle « gymnastique mentale ». Cette méthode est appelée OSBD (pour Observation, Sentiment, Besoin, Demande) est souvent illustrée par un bonhomme (voir image ci-contre).

Les quatre étapes à suivre sont donc :

  1. Observer  la situation et la décrire de manière objective;
  2. identifier et dire notre Sentiment face à cette situation, « parler en je »;
  3. comprendre quel est le Besoin derrière ce sentiment et l’exprimer;
  4. formuler une Demande à l’autre afin de combler notre besoin.

Par exemple, au lieu de dire « J’en ai marre, c’est toujours moi qui fais les courses !! », qui sonne comme un reproche, on pourrait suivre la démarche ci-dessus et dire: « Cette semaine, j’ai fait les courses lundi, mercredi et jeudi. Aujourd’hui je me sens fatiguée. J’ai vraiment besoin de me reposer, ça te dérangerait de les faire aujourd’hui ? ». Dans cette version, on évite de généraliser (« toujours »), on décrit les faits, on expose clairement notre besoin et on fait une demande précise.

En CNV, on n’exige rien de l’autre mais on part du principe qu’en parlant en « je » et en exprimant nos sentiments, l’autre ne sentira pas notre demande comme un reproche ou une exigence et sera plus enclin à accéder à notre demande.

Si on reçoit un refus, on peut commencer à discuter plus en détails de nos besoins et de ceux de l’autre et faire une médiation afin de trouver une solution gagnant-gagnant. Avec la CNV, on apprend à ne plus vouloir changer l’autre, à l’accepter tel qu’il est, et à comprendre les éventuels besoins  « cachés » derrière ses actions.

Il existe des règles importantes qui simplifient d’emblée la communication :

  • dans la phase d’observation, il ne faut pas mettre d’éléments perturbateurs de communication qui sont sujets à interprétations. Il faut être le plus précis possible sans y ajouter de jugement personnel. Il faut se rappeler que les valeurs varient beaucoup d’une personne à l’autre. Par exemple si je dis que je me suis levée super tôt ce matin, certaines personnes peuvent penser qu’il était 5h alors que pour d’autres un réveil précoce c’est 7h. Il vaut donc mieux donner l’heure exacte.
  • parler à la première personne (de nos sentiments et de nos besoins) et donc ne pas dire «  tu ne fais pas ci… ». Lorsque l’on commence une phrase par « tu… » la personne va avoir l’impression de recevoir un reproche et sera beaucoup moins enclin à accepter la demande. Au lieu de dire, « tu ne m’écoutes jamais », on pourrait dire « je me sens frustrée, j’ai besoin de sentir plus de compréhension lorsque nous discutons ».
  • ne pas employer les termes imprécis tels que « jamais, toujours, encore » (cf l’exemple des courses) car l’énoncé devient imprécis voire faux. On n’est pas sûr de ce qui est insinué ou non. Cela ouvre la porte à beaucoup d’interprétations et cela peut être reçu à nouveau comme un reproche.
  • formuler une demande précise ( par exemple : « J’aimerais que tu…, Pourrais-tu ?, est-ce que tu serais d’accord ? »). Plutôt que de dire « pourrais tu être plus présent ? », il vaut mieux dire « peux-tu souper avec moi 3 fois par semaine? ». Lorsqu’une demande floue est faite, la plupart du temps l’autre ne sait pas comment y répondre concrètement et ne fait rien.
  • il ne faut pas vouloir changer l’autre. On doit apprendre à formuler des demandes concrètes qui comblent nos besoins sans nier la liberté et la personnalité de l’autre.
  • on accepte le refus, c’est-à-dire que notre demande n’est pas une exigence. On reste ouvert à la réalité de l’autre.
  • si l’autre n’est pas prêt à écouter nos sentiments, nos besoins et notre demande, il peut être judicieux d’inverser les rôles et de faire de l’écoute active (que je décris plus bas) afin que la personne puisse prendre conscience de ses besoins. Souvent cette prise de conscience déclenche une détente immédiate qui facilite la discussion.
  • il est important de ne pas rester dans l’émotion et de bien pousser la démarche jusqu’à l’identification des besoins sous-jacents. On ne peut pas trouver de solution, si on reste dans l’émotion.
  • Il est également important d’identifier avec les mots justes nos besoins et nos émotions. Malheureusement, on a si peu l’habitude de parler de ce que l’on ressent, que l’on ne trouve pas toujours le mot adéquat qui illustre toute la subtilité de notre sentiment. Pour nous aider, des listes d’émotions et des besoins sont fournies dans le livre de Rosenberg et disponibles également sur internet.
Images illustrant diverses émotions, affichées dans la yourte de la médiation afin d’aider les citoyens à identifier leurs émotions de manière plus précise. Pour pratiquer la CNV, il est utile de se souvenir de la palette complète des sentiments et de leur subtilité.

 

Pratiquer la CNV, ce n’est pas seulement exprimer nos émotions et nos besoins mais cela implique également d’apprendre à recevoir un message difficile. Le dessin ci-dessous illustre les 4 façons de recevoir un message difficile, par exemple « tu ne m’écoutes jamais ». 

Dessin affiché dans la yourte de la médiation de la Ferme des Enfants.

On peut se sentir fautif, rejeter la faute sur l’autre, entendre les sentiments et les besoins en nous ou entendre les sentiments et les besoins en l’autre. Évidemment les deux premières options sont à éviter si on veut faire preuve de bienveillance envers soi-même et envers l’autre. Il est probable que la dernière option (entendre les sentiments et les besoins de l’autre) est celle qui permettra à la situation de se débloquer et ainsi de trouver une solution constructive.

Dessin affiché dans la yourte de la médiation de la Ferme des Enfants. Il illustre les conditions optimales pour pratiquer la CNV et faire preuve d’empathie envers soi-même et les autres.

On ne peut pas faire preuve d’empathie avec l’autre si l’on n’est pas bienveillant envers soi-même. Pour pratiquer la CNV, il faut donc s’assurer d’avoir les ressources affectives adéquates (voir dessin ci-contre).

On peut ainsi appliquer le procédé à soi-même en faisant de l’auto-empathie qui permet de concilier les deux faces de notre « moi » qui s’opposent parfois. Par exemple, si on est énervé contre quelqu’un (au hasard notre enfant…), une partie de nous peut avoir envie de lui lancer des reproches à propos de ce qui nous agace et que l’on veut changer au plus vite (« j’en ai marre, ta chambre est déjà en désordre alors que je viens de passer 2 heures à la ranger, tu ne respectes pas mon travail… »). Mais une partie de nous peut aussi culpabiliser de nous énerver aussi vite (« je devrais garder mon calme, j’en ai assez de crier sur mon enfant « ). Il faut alors prendre le temps de s’écouter et de faire une sorte de dialogue intérieur pour mieux comprendre ce qui nous énerve (« je manque de temps pour moi, et j’ai besoin que mon travail soit respecté et je ne veux plus avoir l’impression de perdre mon temps« ).  On doit alors nous pardonner cette énervement (« je suis humain ») et trouver ce qui nous soulagerai (« j’ai besoin de prendre quelques heures pour moi pour me sentir moins surmené ») . Ainsi, on se met dans les bonnes conditions pour nous adresser à l’autre sans risquer de dire des choses que l’on va regretter.

L’écoute active

Lorsque l’on utilise la CNV, on est amené à faire de l’écoute active, une autre révélation pour moi. Il s’agit d’écouter avec bienveillance, sans jugement et avec une empathie sincère, ce que nous dit l’autre.

Dessin affiché dans la yourte de la médiation de la Ferme des Enfants, qui illustre le pouvoir de l’empathie et de l’écoute active. Lorsque quelqu’un s’exprimant en mode chacal est écouté sincèrement avec bienveillance, sa colère s’apaise instantanément.
Dessin affiché dans la yourte de la médiation de la Ferme des Enfants qui illustre le processus d’écoute active.

Par exemple, si quelqu’un vient nous raconter une difficulté, au lieu de le rassurer, de lui proposer une solution ou d’essayer de lui changer les idées, on va tout simplement l’écouter sincèrement, reformuler ses paroles pour être sûr d’avoir bien compris, parfois le paraphraser un peu. Le but est que la personne sache qu’elle est écoutée et comprise. On peut ainsi l’amener à aller plus loin dans sa réflexion afin qu’elle trouve l’origine profonde de son problème. En agissant de la sorte, la personne est bien souvent capable de trouver seule la solution à son problème (qui peut parfois être bien plus complexe qu’on ne l’aurait imaginé au départ). C’est très gratifiant d’être capable de résoudre ses propres problèmes. Et souvent les entendre dans la bouche de quelqu’un d’autre nous aide à réaliser quel est le vrai problème, cela nous aide à relativiser et à mettre en perspective notre situation.

Attention aux obstacles à l’écoute active et empathique 

Lorsqu’un proche nous expose un problème, on est parfois tenté de l’aider de différentes façons (donner un conseil, parler de notre propre expérience, lui changer les idées, le rassurer). Bien qu’elles nous semblent utiles et qu’elles partent de bonnes intentions, ces « réponses » vont parfois avoir l’effet inverse. Durant la formation, on a reçu une liste de ce que Rosenberg appelle des « obstacles à la communication empathique ». Il s’agit de réactions qui ne reposent pas sur une empathie sincère et qui ne vont pas forcément aider l’autre à se sentir mieux ou du moins écouté.

En voici des exemples :

Tiré du livre de Marshall Rosenberg « Les mots sont des fenêtres (ou ce sont des murs) ».

 


Je comprends enfin pourquoi, parfois, lorsque que je veux discuter d’un problème et que l’on me coupe pour me proposer une solution toute prête, je me sens frustrée. J’ai alors le sentiment de ne pas avoir été écoutée et de ne pas être vraiment capable de sortir de mon problème. La plupart du temps, il suffit de quelqu’un qui tend l’oreille et qui nous accompagne simplement et de manière bienveillante dans notre réflexion pour que tout se décoince.

Durant le stage, on a fait quelques mises en situation tirées de l’expérience des stagiaires. J’ai moi-même exposé ma situation conflictuelle avec ma plus grande qui fondait en larmes à chacune de mes demandes (du type : peux-tu t’habiller, te laver les dents, aller faire pipi…). On a joué la situation telle qu’elle se passe habituellement. Une stagiaire s’est mise dans la peau de ma fille (merci Géraldine !!) et m’a exposé son ressenti face à mes demandes et mon attitude. Après discussion des besoins de chacun (les miens et ceux de ma fille), on a rejoué la scène en langue girafe (la langue de la CNV).

L’exercice d’empathie que cela m’a demandé m’a fait réalisé ce que j’imposais à ma fille, ce qu’elle pouvait ressentir et à quel point il était simple de dénouer une situation qui me semblait insoluble car ancrée dans une habitude.

Je suis ainsi passée de mes pensées en langue chacal « Ma fille ne veut rien faire par elle même, elle régresse, elle est tout le temps de mauvaise humeur, elle veut me faire tourner en bourrique, me fait perdre du temps » à une compréhension empathique en mode girafe « ma fille a besoin de remplir son réservoir affectif avec moi, la présence de son petit frère et le fait que je m’en occupe beaucoup, lui provoque une sensation de manque. »

En prenant le temps de me poser avec elle, de faire les câlins qu’elle me demandait avec une vraie présence et une intention totalement tournée vers elle, j’ai pu comblé son besoin de tendresse (et le mien) et mon besoin de calme. »

 Une fois que l’on a gouté à cette façon de donner et de recevoir une écoute empathique, on a très envie de la pratiquer au quotidien, même si ce n’est pas toujours facile surtout avec les personnes qui nous sont le plus proches. 


 

Notez que la CNV se pratique même avec des personnes qui ne connaissent pas du tout la technique. Il suffit alors de prendre le temps de les écouter sincèrement avant d’exposer vos propres émotions et besoins.

Et vous, pratiquez-vous l’écoute active et la communication non-violente ? Avez-vous l’impression que cet outil pourrait-vous être utile dans votre quotidien ?